17 mars 2009

50 años...


Bonne nouvelle : après un hiver sans fin, les toros ont recommencé à mourir. Du côté du Levant, en toute logique. Sans la mort des toros et le soleil, la vie manque de souffle. Exténués d'inactivité, nous voici aux premiers frémissements du printemps, un brin racornis par le froid, conscients de la chance d'avoir survécu à ces quelques mois. La nuit inextinguible, omnipotente, la nuit d'hiver dévorait de pâles journées et des plaisirs en sursis. La vie est autant une chienne qu'un hiver sans toros un pléonasme. Un hiver obscur pareil à un buisson incarcérant un visage livide où seuls subsistent deux yeux hallucinés, extravagants et soutachés de sombre. Des yeux implorant, inconscients du manque et pourtant affamés. L'hiver, superbe comme un soleil dédaigneux et lointain, dispense des poignées de sursis à des fantômes emmitouflés, comme d'autres arrondissent une media ou affûtent un trincherazo sans merci.
On a beau se divertir à parler d'argent évaporé, se ressentir dans la crainte de lendemains blêmes, on rame surtout pour parler de quelque chose qui en vaille la peine. Par chance, feulent encore ponctuellement les harpies du petit monde pour des histoires de rubans à breloque, suffisamment pour nourrir l'illusion du détachement de tout, à travers un mépris sans conviction. Les toros sont encore loin, finit-on par soupirer.
Ici et là, perce tout de même l'espoir, ces toros au fin fond de la Camargue qui mangent et frisent dans le froid, ces toros dont l'oeil garde quelque chose de mauvais, sont bien là pour quelque chose ! Pour le sable, la soie, l'acier lointains ! L'acier perpétuellement silencieux dont les cuivres ne résonnent pas jusqu'ici, pas encore. Et puis, tous ces gens qui les ont vus, eux-aussi, ces moments, entendu ces vivats, ces broncas, ces silences ! Ces gens qui semblent y croire si fort qu'ils ne parlent que de ça ! De ce fatras, de ces fracas ! Ces fantômes des jours de soleil qui prophétisent la révolution, dans son sens redondant, récurrent, annoncent la possibilité d'un retour.
Séville, terre promise, nourricière et de résurrection qu'on n'ose encore tout à fait envisager. Séville, loin de laquelle Curro prit l'alternative un jour de rien, en hiver, à Valence et déjà âgé. Il y a 50 ans. Demain. Hiératique, le sphinx arbore toujours un pelage noir clairsemé. Il feinte. Il feinte comme il n'a guère feinté pendant plus de 40 ans, à offrir le spectacle du ridicule et du sublime, du toreo le plus total, abandonné, inné, abouti. A offrir la possibilité de bâtir des légendes pour frémir d'hiver en hiver au fil des souvenirs.
Dans notre époque de comptables, on évoquera demain Curro en toute vulgarité arithmétique, pour combler le vide d'un jour de plus. Comme si on accompagnait Bashung en parlant de records de statuettes plaqué or, aussi dérisoires que des breloques et des rubans. Oui ! Ils osent ! Déployant une revolera d'incompréhension crasse et ravie. Je n'ai vu Curro qu'une fois et je devais voir Bashung ce soir. L'hiver est encore là, vacillant. Dans la tempête d'espoir qui gronde et qui gagne, il me reste quelques légendes meurtries et superbes. Pour tenir.