20 janvier 2009

Histoires oubliées


Demain, Pepina vient dîner... C'est un événement ! Il est même possible que l'on ait Yannick Olivier ce qui vaut l'apparition de José Tomás dans un cartel d'arène française : pas impossible, mais pas vraiment probable. Pour Benjamin et El Batacazo, c'est plus classique. En montant les oeufs en neige pour le tiramisu, je me disais qu'après une année de célibat, l'obtention d'une mousse ferme et onctueuse à l'aide d'un simple fouet, tiendrait du jeu d'enfant. Pour le résultat, nous verrons demain. L'avantage du célibat ne réside pas seulement dans la dextérité retrouvée pour monter des oeufs en neige, cela permet également de faire plein de rencontres, d'héberger des copains pendant 6 mois, de tienter la camada entière du Pablo Romero à Nîmes et surtout de partir pour les toros quand cela vous chante. ¡Menuda ventaja !

Tout a commencé autour d'un banquet aux alentours de Vic, un soir d'Adelaida Rodríguez face à quelques carcasses de canard et diverses bouteilles du Sud-Est, SyS et Mario Tisné alternaient en mano a mano sur les souvenirs de Cenicientos et tout y passait : les portatives qui reculaient quand les toros remataient au burladero, la "Fuerte Movida", les feux d'artifices tirés à l'horizontale dans les rues, les toros abattus à l'arme automatique, les rues non goudronnées et ces histoires de juments attachées à la barrière... En quelques minutes de souvenirs agités sous nos yeux ébahis, nous venions tous de décider de partir voir ces bizarreries de plus près dès le mois d'août.

L'inconvénient du célibat quand l'âge avance réside dans la corrélation négative de sa situation maritale avec celles de ses amis... Autour du 15 août, me voici donc en route depuis Biarritz et San Sebastián pour Cenicientos, avec pour seule compagnie la promesse de retrouver Benjamin à Bilbao le lundi suivant et quelques Cérétans à Cadalso de los Vidrios.

Vitoria... Burgos... Aranda... Madrid... Villaviciosa de Odón... Fuenlabrada... direction Talavera... 500 kilomètres qui me parlent de toros.
A la sortie d'Almorox, il faut oser se jeter à gauche dans le ravin où plonge la petite route serpentant à travers un paysage de pierres qui mousse généreusement de pins parasols. Au loin, voici un coche de cuadrilla, celui de Vilches. Et l'impression à travers les lacets où je le poursuis, de revoir le début de "Shining" : la voiture de Nicholson avalant le bitume au milieu de nulle part et déjà l'angoisse en train de poindre.
A Cadalso de los Vidrios, l'hôtel vieillot est un repère de Français en quête de drôles de toros et ma chambre mêle des senteurs de renfermé et de moisi. C'est un régal, c'est bien ici... Enfin j'y suis !
J'ai raté les Alcurrucén de la veille, Cenicientos m'accueille avec tout le bois de ses Osborne parmi lesquels nul ensabanado n'a le bon goût de venir rappeler quelque souvenir d'emprunt. Le cartel est aussi cauchemardesque sur le papier qu'en piste : Hernán Ruiz 'El Gino' de Colombie, Luis Vilches, Paul Abadia 'Serranito' face à un lot n'ayant qu'un peu de présentation à offrir : 'Campeón' et 'Esplendido' se chargeant de la partie imposture patronymique. Les cornes astifinas de 'Vistoso', le 5, envoient Vilches finir sa saison sur un lit d'hôpital de la banlieue madrilène. Deuxième corrida, deuxième blessé. 7 puyas, lidia chaotique... Rideau.

Je retrouve Mario, Bill, Richard. Je rencontre Luigi de Milano et un groupe hétéroclite et picaresque de Zaragozanos de La Cabaña Brava au beau milieu du pueblo corucho... Même avec sa nouvelle plaza en dur, le bled garde son cachet encasté. Le ron con limón vient prouver que quelques pans de civilisation ont dérivé jusqu'ici.

L'alguazil de la plaza a des airs accablés de cavalier rassasié de poussière des chemins de Castille sur quelque Rossinante harassée. Il semble tenir en selle par habitude autant que par lassitude. Les toros de Corbacho Grande montrent un brin de présence en piste, un brin. La lidia est au diapason de celle de la veille : catastrophique, chaque bicho allant prendre refilones successivement au titulaire et au réserve. On vient voir des toros, pas des piques. López Chaves, Iván García et José María Lazaro étalent toutes les insuffisances de leur tauromachie. 'Diacono' vient sauver la fadeur de la tarde en sixième position : il ne veut pas voir un capote, prend deux puyazos, permet au banderillero de saluer et après de bons doblones de Lazaro, se met à charger et répéter des deux côtés sans relâche. Emotion dans l'alegría du toro et dans l'aguante inquiet du jeune valiente s'employant à ne pas rompre. Passes longues, rythme rapide, quelques adornos par le bas pour en finir et estocade caidita en se mouillant les doigts. Corrida sauvée par un grand toro et le pundonor d'un garçon venu "se la jouer" ici-loin.

Pour trouver une plaza portative comme jadis, il faut aller à Almorox, où l'encierro des novillos le matin permet aux vieilles de leur donner des coups de canne à travers les barrières et aux toros de gambader des dizaines de minutes durant dans la rue puis la plaza, pleine comme un oeuf dès 8h30.

Avant le départ pour Bilbao, Cenicientos finit cumbre : 6 José Escolar Gil pour Rafaelillo, Robleño et Sergio Aguilar. Les 3, 4 et 6 étalent leur caste face aux moyens impuissants des diestros. Rafaelillo fait assassiner le 1 en une puya, le 4 en deux rencontres cauchemardesques. 'Cedido', santacolomeño encasté aurait supporté 5 piques normales, il s'emploiera à faire l'avion dans la muleta coupable d'un Rafaelillo dépassé par tant de bravoure. ¡Lástima!
En sixième position paraît 'Chumbero'... incarnation de fiereza et de caste : querencioso, il se déchaînera lors d'un premier tiers apocalyptique, terrorisera la cuadrilla au deuxième puis promènera son port de tête altier et son matador déconfit dans tous les secteurs du ruedo au mépris des meutrissures préméditées endurées par sa carcasse. José Escolar avoua que face à tant de caste, même son gendre aurait certainement éprouvé d'immenses difficultés. De Aguilar ? Ni hablar... De leur rencontre avec 'Chumbero', Pepe Carlos et Facundo sont encore bouche bée. Quant à moi, je reprenais le chemin de Biarritz pour chercher Benjamin en pensant que pareil Albaserrada valait toutes ces centaines de kilomètres et justifiait une nuit recroquevillé et frigorifié sur la banquette arrière de la voiture au bord improbable d'une autoroute de Castille.

A quelques kilomètres de Cenicientos, quasi morts et quasi pierre, paissent los Toros de Guisando, "hartos de pisar la tierra".