Un soir de beaujolais nouveau, mon ami Philippe, qui n’est pas celui que vous connaissez, avait réussi à soudoyer une caviste et à obtenir en avant-première un beaujo villages très buvable. Loin de Lyon pour une fois, nous nous apprêtions à passer aux agapes quand me vint le souvenir que Nick Kent dédicaçait son bouquin en bas à la librairie du coin. Philippe — qui a vu The Clash sur scène il y a plus de trente ans — fila ventre à terre, délaissant boutanche et dîner… Au fond de la petite librairie, un drôle de sexagénaire en bonnet enquillant café sur café envoyait un charabia anglo-français à l’assistance, traduit par son épouse quand il daignait lui en laisser le temps : Nick Kent, journaliste gonzo.
Tout y passait, des mémoires rapportées de Keith Richards à la pompe à fric des Stones, en passant par les pubs d’Iggy Pop, le génie de la récupération de David Bowie ou la chaîne de vélo de Sid Vicious sur son dos trente-cinq ans plus tôt… Nick Kent commence sa carrière de journaliste à Londres à l’orée de la vingtaine et des seventies, délaissant les «auteurs morts» pour les chroniques musicales de Frendz, puis du New Musical Express. Très vite les rencontres s’enchaînent et tout le gratin musical de l’époque défile sous ses yeux, tour à tour ébahis, blasés, lucides, puis sérieusement stone : Led Zep’, les Stones, l’immense Iggy Pop, Bowie, Marc Bolan et une ribambelle de musiciens de l’époque passent à la moulinette de sa plume au fur et à mesure que celle-ci se cherche, s’aiguise, puis s’émousse tandis que les substances opiacées finissent de le conduire tout à fait dans la rue.
Au-delà de la proximité exceptionnelle avec cette génération, l’originalité du témoignage réside dans le prisme par lequel Nick Kent décode la décennie. Totalement subjective, la démarche gonzo le conduit à s’immerger dans le courant qui agite le monde d’alors, lui-même devenant un acteur à part entière de cet univers, partageant les virées héroïnomanes de l’iguane de Détroit ou du champion toutes catégories qu’était Keith Richards, ou faisant partie de la première mouture des Sex Pistols. Le regard de Nick Kent est sans concession ni pitié pour les hippies crasseux défoncés d’amour par la grâce du LSD à la fin des sixties, les riches adolescentes «chair à rocker» de Los Angeles, les excès des groupes et de leurs entourages mafieux, l’apathie générale dans laquelle plonge la musique de la décennie camée à l’excès avant l’avènement salutaire du punk et de sa dégénérescence consubstantielle. Proprement hallucinante, la descente aux enfers du journaliste est aussi sidérante a posteriori que sa survie. Le ton général du bouquin n’a rien de franchement réjouissant ; il n’en reste pas moins un témoignage passionnant sur l’époque.
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#CyRNoEstaMuerto
#DavidBowieTorero
>>> Nick KENT (traduit de l’anglais par Laurence Romance), Apathy for the Devil. Les Seventies. Voyage au cœur des ténèbres, Éditions Payot & Rivages, coll. Rivages rouge, Paris, 2012.
Photographie Punk attitude chypriote côté turc, Nicosie, mars 2012 — Frédéric ‘Tendido69’ Bartholin