27 septembre 2011

À rebours


Barcelone, dimanche soir, soleil accommodant de septembre, Barcelone, lendemain d'orgie, Barcelone dépose les armes. Le public lui-même a pris un coup. Que font-ils là ces gens ? Voir Tomás ou assister à la dernière ? Voir Tomás fermer les arènes peut-être. On ferme. José Tomás a abandonné les siens, le 5e est mort, du centre de la piste le messie a alors salué et applaudi son public qui se donne rendez-vous à Barcelone depuis des années pour le voir ici clore sa saison. C'était parfaitement incongru ce torero qui applaudissait une Catalogne taurine absente, déjà enterrée, incongru comme ce week-end. On ferme la Monumental sous les vivats incohérents et désaccordés :  ¡Viva Tomás, Barcelona, España, la madre de Morante, la afición, la anarquía, etcétera! Une partie du public a alors quitté les arènes pour chopper l'AVE de Madrid peut-être ; les "Tomasistes" orgasmiques et bruyants, les pénibles : ils n'étaient finalement pas si nombreux.

Dernières clarines, dernière sortie, dernière pique, Serafín a rangé sa cape fantaisie et fait de son mieux. On ferme, bientôt. Alors, même si le cœur n'y est pas, si cette dernière fait pâle figure, on ferme les yeux, comme hier, comme depuis longtemps. Sur l'écran de l'appareil photo, le crépuscule de la Monumental sort jaune, on monte les ISO, grande ouverture, c'est toujours aussi jaunâtre. Jaune et bougé : 125e de seconde, on ferme, il n'y a plus rien à photographier de toutes façons. L'élégante Madrilène aux yeux humides derrière moi peut-être. Mais pourquoi chougne-t-elle au juste ? Pour Barcelone, pour cette Fiesta profanée que les taurins vendent encore au prix du sacré, pour l'ambiance, pour la photo peut-être ? On ne juge pas les larmes d'autrui. On ne juge plus rien, on ferme... sur ce toro pénible, ce lot indigne, et Serafín qui s'efforce de faire quelque chose. Photographier un effort ? Obtenir cette impression relèverait de l'exploit. Alors puisqu'on ferme, je ferme aussi... le diaphragme, je baisse les ISO, je fais tomber la vitesse au dixième de seconde, j'élargis le champ pour attraper les tendidos qui comptent eux aussi. À rebours : dernier quite, dernières banderilles, dernier brindis... dernier arrimón de Serafín, qui y arrive presque, qui est plus que digne pour l'occasion avec ce toro qui ne permet rien. Une série, peut-être. On ferme, dans le clapotis de l'eau de boudin, le triste, l'amertume de la poudre mouillée. C'est rageant certainement, c'est surtout logique et parfaitement assorti à l'évènement.
Alors tant pis, je ferme, je ralentis et fais des photos jaunâtres, des plans larges de ce public qui ne fait plus que compter, qui scrute la piste sans y voir plus rien et ne retiendra de ce triste final que l'anecdote du décompte qui s'achève : dernier toro, dernier tiers, dernier torero... catalan. La scène est "bougée" sur mon écran, déjà floue pour tout le monde et ça n'a plus aucune importance. Que l'histoire retient-elle des fermetures ? Des anecdotes autosuffisantes un peu factices je suppose.

Dernière estocade, je cadre large, j'essaie de garder l'assiette. Le public est figé, net, bouffant la scène avec un dépit consterné, le regard grave d'écœurement et le cœur un peu merdeux. Le callejón complètement plombé, abasourdi. Là-bas, j'accroche un flash qui semble nous crier "Miroir !" Serafín tue bien. La photo a le maigre mérite d'avoir prolongé ce dernier instant. 
Tout ce qui suit restera lourd et mécanique, sans entrain. 

On a fermé.