13 septembre 2011

La chute


Pourtant, le ciel noircissait depuis longtemps. L’orage montait et les nuages en pelote menaçaient. Et puis j’ai vu, et j’ai compris aussi... Désormais, je sais que la plaie saigne, que la bête est blessée et qu’elle fuit. Instinct de survie. Difficile de l’approcher, impossible de croiser son regard. Elle sent qu’on la traque et sait désormais que la chasse est lancée. Elle est seule, isolée et ne l’ignore pas. Il lui faudra ouvrir l’œil et ne pas s’endormir. La main qui autrefois la caressait tient aujourd’hui le couteau, et il suffirait de rien pour que le coup fatal lui soit porté.

Pourtant, quand elle sortit du bois, je me souviens que son ramage fut chanté par tous. Les regards pétillaient à sa vue, les éclats de joie raisonnaient jusque dans son antre. Le printemps fleurissait. Pouvait-on alors s’imaginer que les beaux jours étaient déjà comptés ?

Séduisante au début, on se laissait aller à quelques flatteries. Nul n'aurait pu douter de tant de généreuses intentions et l’on pardonnait donc à peu près tout. On attendit longtemps ce qui n’arrivait jamais, et même ceux qui lui avaient porté de sulfureuses attentions commencèrent à s’en éloigner pour mieux la montrer du doigt. Tous espéraient mais rien ne venait. Mais tous espéraient, quand même... On ne sait jamais.

Alors on commença à se méfier de celle qui pouvait, qui devait, qui aurait pu et qui aurait dû, qui nous a laissés croire, en vain, car elle avait oublié, à mesure que les ans passaient, les vraies raisons qui l’avaient un jour amenée là, et les luttes de 40 ans qui l’avaient animée avant. Certains tentèrent même de la raisonner, désespérément, mais le confort et la facilité pourrissaient irrémédiablement son esprit, et les cotillons, fantaisies et grands crus classés brûlaient à jamais nos illusions. L'arrogance, les certitudes et les excès sont passés par là, le pelage ne brillait guère plus et le ton sonnait à présent si faux qu’on ne l’entendait plus, ou qu’on ne l’écoutait plus. Elle avait passé tout ce temps à poser des tuiles sur une maison sans charpente, soignant le détail, rien que le superflu, accumulant glissades et trébuchements jusqu'à la chute ultime. Adieu panache, menton haut et regard fier, adieu tranchées, hurlements de hussards et frères de boue. La révolution annoncée ne vint jamais et les miettes que certains espéraient ne tombèrent pas plus. Pire, les plus sages perdaient patience et l’on commença même à entendre le grondement sourd de la colère indignée. Mais le mal était fait, le mal était là, et sortirent du bois les mauvais sentiments, les mauvaises paroles et les mauvais regards ; les masques tombaient tour à tour, et les meilleures âmes des premiers jours se révélaient être les plus fines lames d’aujourd’hui.

Le charme était rompu et j’ai vu les hommes devenir fous...