18 août 2011

Argelès-Collioure, un peu d'espoir au bout du trajet


15 août 2011. La féria de Béziers s’achève sur une corrida de Miura décevante (mais une miurada peut-elle encore être décevante ?), en dépit de la bonne prestation d’un Rafaelillo qui sort grandi de l’épreuve après deux combats centrés, authentiques, conclus par deux bonnes épées. Juan José Padilla aura été tricheur et grotesque, comme à son habitude, et Iván García, malgré l’envie patente de bien faire qu’on lui connaît dans les trop rares occasions qui nous sont données de le voir, ne sera pas parvenu à s’adapter au rythme particulier de ces adversaires auxquels il se confrontait pour la première fois. Un magnifique sixième exemplaire, cárdeno claro, pour le souvenir, le seul du lot à présenter une encornure harmonieuse et peu suspecte.
En matinée, le ramage des novillos de Tardieu n’aura pas été à la hauteur de leur plumage. Quatre mansos comme dans les livres que les trois novilleros du jour n’ont manifestement jamais lus, à en juger par la stupeur et l’océan de perplexité impuissante dans lesquels ce comportement les aura plongés. Le sixième novillo, à l’inverse, paraissait monté sur un rail circulaire, son museau au ras du sable ne demandant qu’à s’inscrire dans des trajectoires doucement guidées et liées les unes aux autres ; las, Juan Leal se sera contenté de leur imprimer ce toreo vertical qui seul paraît être enseigné dans les écoles taurines et autres fondations si bien représentées ce jour-là.
Cette journée mariale venait clôturer une féria de la torpeur et du renoncement desquels ne surnagent péniblement qu’une faenita de José María Manzanares et un combat de Jean-Baptiste Jalabert sous le déluge. Les corridas de Daniel Ruiz et Núñez del Cuvillo n’auront été qu’un pensum, un calvaire pour l’aficionado perdu au milieu d’un public festif dépourvu du moindre critère, devenant agressif à l’égard de quiconque tenterait d’élever une voix timide contre ce qui devrait provoquer du moindre coin de tendido l'envol d'une nuée de coussins.

16 août 2011. C’est la deuxième fois en ce mois d’août, et la troisième depuis le début de l’été, que l’aficionado de Languedoc-Roussillon aura pu trouver son salut dans les arènes de Catalogne Nord. Morte, la corrida en Catalogne ? Par-delà les Pyrénées, c’est à craindre, mais de notre côté de la frontière, il semble qu’il n’en soit rien tant c’est bien à Céret, Millas et Collioure qu’il fallait se rendre pour y voir des toros.
Argelès-Collioure. Le train chemine à travers un paysage de mer et de montagne, à l’image de ce plat savoureux servi par Patricia et David avec leur immense convivialité. Les images défilent ; on se prend à se remémorer les première pages du dernier livre d’Alain Montcouquiol, la tristesse qui en découle vite effacée par les rires des copains, la bonne humeur des jours de course dans l’attente fébrile desquelles les blagues fusent, abandonnant pour un temps les pronostics d’ordre taurin, comme pour conjurer le sort.
En descendant du train, la petite arène portative est là, immédiatement ; des hordes de touristes indifférents à ce qui se jouera ici, à ce qui se joue ici, défilent devant elle sans lui accorder davantage qu’un regard à peine curieux que le brouhaha de la rue fera disparaître bientôt. Restent quelques égarés, quelques aficionados locaux, et la petite caravane de l’Afición, cette infinitésimale composante du public des arènes que l’on a la joie de rencontrer ici et là, jamais par hasard.
Et c’est ici, dans ces arènes portatives posées près des sables balnéaires des vacances insouciantes, que sont sortis six magnifiques novillos des héritiers de Christophe Yonnet. Un lot au trapío irréprochable et aux armures splendides, six bichos de ceux qui font s’élever des gradins ce « Ooooooh ! » caractéristique, qui font naître à la surface de la peau enfiévrée de soleil ce frisson des grands toros, des véritables toros.
Le simple fait d’avoir permis à ces merveilles de fouler le sable de ces arènes, ici à Collioure, était en soi un pari gagné. Mais le spectacle ne s’est pas arrêté à la contemplation béate de ces animaux. Car tous furent passionnants ; non seulement chacun se battit comme les toros doivent se battre, mais en outre la course alla a más. Seize rencontres avec la cavalerie, une envie d’en découdre à chaque fois quasiment intacte, et un comportement passionnant de bout en bout.
La difficulté d’organiser ce type de course ne s’arrête hélas pas à la programmation d’un élevage sérieux. Il faut encore traverser les affres qui consistent, quelle que soit la catégorie de la plaza, à trouver les piétons susceptibles de les affronter. Quand on connaît les difficultés à contracter d’associations telles que l’ADAC ou l’ADA Parentis, on imagine ce qu’il peut en être à Collioure. Alors, bien sûr, comme c’était inévitable, aucun novillero ne parvint à se hisser à la hauteur de ses adversaires, et il s’en fallut de beaucoup. Vraiment beaucoup. Mais la deuxième heureuse surprise du jour est venue de la présence en piste des frères Beltrán, un duo de peones de grand talent qui, comme dans le Vallespir, ont fait montre tout l’après-midi d’une grande torería et d’une technique sans faille au service de la tauromachie authentique et véritable.

« Tout ce que tu fais, fais-le par le bas »

La petite caravane de l’Afición ne bouda pas le plaisir si rare que fit naître la contemplation de cette lidia. Et elle fit entendre ses encouragements, elle que l’on qualifie si souvent de grincheuse et de « jamais-contente ». Comme toujours en pareilles circonstances, la faible capacité d’accueil des arènes permit aux aficionados de se faire entendre, dans le respect des acteurs du ruedo, ce qui avec le sérieux de la présidence eut pour effet que, sans doute à la grande surprise de certains toreros, la course puisse avoir lieu avec une relativement grande tenue.
C’est ainsi que l’on put profiter aussi pleinement que possible (eu égard aux compétences et à l’expérience limitées des novilleros présents) de chacun des six novillos, de voir leur fierté et leur race s’exprimer, de les juger au moins deux fois chacun face à la cavalerie. C’est si rare, si rare...
Et c’est également ainsi que l’on put, chose tout aussi rare sinon davantage encore, écouter religieusement les conseils avisés de cette cuadrilla de categoría dispensés à Huertas, certes encore vert mais dont l’envie de bien faire peut légitimement laisser quelques espoirs se former en nous. « Tout ce que tu fais, fais-le par le bas. » Cela change des inepties et des « bieeeeeeeen » totalement hors de propos proférés dans les arènes de France et de Navarre, saison après saison.
À la sortie des arènes, le public s’attardait longuement en laissant tranquillement et doucement la course se décanter ; signe, comme me le fit remarquer Richard, qui ne trompe pas. La chaleur de la journée retombait peu à peu, et on pouvait laisser une douce satisfaction s’infiltrer lentement en nous.
La petite caravane de l’Afición ne représente plus rien d’autre qu’elle-même, ce qui, numériquement et en terme d’influence, ne représente sur l’échiquier taurin strictement rien ; elle est en outre dépourvue, depuis la disparition de l’ANDA, de toute représentation tangible. Je pense toutefois pouvoir affirmer en son nom qu’elle sait gré aux acteurs qui ont rendu cette journée possible (organisation, et en particulier Yannick Florenza, Quinquin et Charlotte Yonnet, les quelques toreros cités plus haut), de ce moment passé ensemble, de cette petite lueur d’espoir dans les ténèbres.
Qu’ils en soient ici humblement remerciés.

>>> D'ici quelques heures, la petite caravane de l'Afición pourra profiter d'une galerie photographique de la course colliourencque...

Photographie © José 'JotaC' Angulo / Camposyruedos.com