24 mai 2011

O Elefante Branco


Au Portugal, un club anglais, rococo, élitiste et interdit aux femmes. Normal, c’est un club anglais. Portugais mais à l’anglaise. Ce qui ici n’a rien d’étonnant.
Dans des vitrines trônent quelques très grands vintages auxquels pas grand monde ne porte encore attention.
Les fauteuils sont profonds et confortables en diable. C’est juste que l’on n’ose pas s’y affaler.
L’atmosphère du début de soirée est feutrée, les cravates encore ajustées, les saluts courtois et chaleureux, mais encore sur la retenue.
Là, un ministre, plus loin un secrétaire d’état.
Dans une autre pièce, un capitaine d’industrie se la raconte avec un éleveur de taureaux de combat.
Et puis, un marquis, «Le» Marquis. Un personnage jovial, différent, immédiatement accessible et sympathique. Petite moustache à la Hercule Poirot, l’œil malin et humour so british.
Un marquis que l’on s’étonne d’entendre parler portugais et que l’on imaginerait bien plus volontiers avec l’accent d’un lord anglais.
J’ai la sensation d’être dans une bulle anachronique, loin de tout mais protégé de rien.
La soirée est délicieuse. Les esprits s’embrument lentement mais sûrement et avec délice au rythme des verres qui se remplissent et se vident de vins rouges de l’Alentejo.
La nuit avance sans heurts, mais sans répit. Les conversations se font de plus en plus vives, les ministres ne se la racontent plus, les éleveurs non plus, et le marquis semble survoler tout ça.

Cigares... cubains.
Cigares et porto : un monde pour dominer le monde.
Un de nos hôtes me prend par le bras, l’œil malicieux, et m’attire à l’écart.

— Viens, il faut que je te raconte quelque chose.
— Tu vois, mon ami le marquis...
— Ah oui, le marquis. Quel type ce marquis !
— Oui, le marquis, il n’est pas plus marquis que toi ou moi remarque ; mais c’est le marquis. Pour tout le monde ici, c’est le marquis.
— Oui, bien sûr, je comprends.

— Eh bien figure-toi que le marquis il n’a jamais voulu se marier. Il est assez riche pour avoir des domestiques, et ne pas se laisser emmerder à demeure par une légitime. Alors le marquis il ne s’est jamais marié tu vois.
— Oui, effectivement, ça peut se concevoir.
— Et donc le marquis, eh bien forcément, il est devenu le meilleur client de l’Elefante Branco. Car le marquis il adore les femmes tu vois.
— Ah oui, je vois.
— Et le plus amusant avec le marquis, c’est qu’il est tellement sympathique et tellement bon client de l’Elefante Branco, qu’avant de mourir, la tenancière l’a couché sur son testament. De client, il est devenu... patron ! Le marquis a hérité d’un bordel !
Fin de l’anecdote.

La soirée s’est étirée, entre volutes et porto, rires et bonne humeur.
C’était il y a une quinzaine d’années. Je me souviens très précisément de cette soirée — on ne dîne pas tous les jours avec des ministres — et surtout de cette confidence, dont j’ai bien dû douter un instant de la véracité. On ne croise pas non plus tous les jours un marquis légataire d’une maison close.
Il y a quelques semaines de cela, dans cette même ville portugaise, quinze années plus tard, nos pérégrinations nous ont mené devant la façade clignotante et lumineuse de l’Éléphant Blanc ; histoire de nous souvenir qu’un jour un faux marquis a hérité d'un vrai bordel. Enfin je crois.

>>> Vous ne trouverez, hélas, aucune galerie dans aucune rubrique du site www.camposyruedos.com — z'ont pas voulu, sauf celle volée au Iphone...