21 avril 2008

Objets


Il faut dire qu'il ne doit pas avoir l'habitude... Etre invité à saluer sous l'ovation par le destinataire de celle-ci, doit avoir quelque chose d'humiliant. Hier, quand José Tomás est apparu sur le sable catalan, le "run-run" de la Monumental de Barcelona s'est converti en acclamations tonitruantes. Avec Tomás, les chapelles dont je parlais la semaine dernière à propos des discussions de passionnés, semblent accrocher des écriteaux de "no hay billetes" à leur frontispice et résonnent du choeur des fidèles quand paraît l'objet de leur dévotion. La rumeur s'est convertie en acclamations, et ce n'est pas qu'une tournure à l'espagnole. Dans la competencia, il n'est pas de coup déloyal. Plutôt qu'un "¡mira Juli!" du fond des tendidos à l'occasion d'un travail de bâtonnet au sommet dispensé par l'objet de culte, l'apparition tardive de Tomás au paseo pour rejoindre Juli et Finito fit résonner les acclamations des convertis comme un "¡oye Juli!" qui aurait jailli de la gorge du maître des lieux. A l'issue du paseo, lorsque le "peuple du toro" (je ne me lasse pas de cette expression pour tribun sudiste), intima à Tomás l'ordre de leur apparaître en piste, celui-ci commença par s'extraire du burladero pour saluer avant d'inviter ses compagnons de cartel à le faire à leur tour. Une fois n'est pas coutume, en Espagne, nous avions mangé de bons desserts, Juli a eu, lui, le loisir de goûter la nuance entre un "ça a l'air bon, vas-y, goûte !" et un "moi, j'en veux plus, tiens, tu veux finir ?" Il ne desserra dès lors plus les dents, l'amertume de la pilule, certainement.

Au sommet de la Monumental, je vois trois pains de sucre recouverts de faience blanche et bleue, on peut toujours s'amuser à voir un symbole dans le fait que l'un des trois est en fait recouvert d'une bâche plastique imprimée pour donner l'illusion de faience. Chez Finito, on aime le gel élégant qui lisse le cheveu sur la superficie capillaire destinée à se couvrir de montera, pour laisser ensuite les extrémités se déchaîner en frisottis à l'air libre, on aime le geste torero en fin de passe qui imprime si joliment le papier glacé, les costumes sont superbes. On aime se souvenir de sa main gauche (il y a 14 ans, en ce qui me concerne), de ses triomphes passés et qu'on a pas vus et de la place que son talent aurait dû lui réserver à l'escalafón. De Finito, je me souviendrai, cette fois-ci, des gouttes de pluies qui vinrent diluer par deux fois le sang sur la lame du descabello, juste sous notre nez. Heureusement qu'on ne prétend pas que mal toréer fait pleuvoir, on en aurait apporté la preuve hier. "Tu crois qu'il y a vraiment un sorteo pour Finito dans ce genre de course ?" me hasardais-je pour tromper l'ennui qui n'était encore qu'attente.

Lorsque Tomás parut, le décor était en place : Tomás est à Barcelone, petit déluge en piste... qui n'a pas une anecdote à raconter sur une corrida pour le souvenir donnée sous une pluie encastée ? Mais force est de croire qu'une conjonction trop évidente de facteurs pour la légende rend l'ensemble trop convenu. L'objet de toutes nos attentions a beau inventer de l'émotion face à rien, il est évident qu'il manque quelque chose. Etrange Tomás qui parvient à nous intéresser face à si peu et donner de l'intérêt à des manoletinas, c'en est même gênant. La pluie faiblissait, j'eus alors un peu honte d'avoir consacré tant d'attention à la position d'une des baleines de mon parapluie pour éviter que les gouttes ne ruissellent sur mon siège, alors que José Tomás s'apprêtait à "manoletiner" serré. Echec à l'épée, les mouchoirs n'auront pas même droit à une vuelta. La pluie a cessé, c'est déja ça.

El Juli entreprit alors de devenir objet de culte, et face à rien s'inspira de Tomás, qu'il s'en fut chercher dans son terrain. Tremendisme face à peu, terrains réduits, pendule oppressant comme un compte à rebours, mâchoires serrées et gestes saccadés, les miettes laissées par José Tomás au paseo ne semblent toujours pas digérées.

Sans tâche, ni accroc à son beau costume, Finito expédie le meilleur 4è du lot, Garcigrande ou Domingo Hernández, blanc bonnet et bonnet blanc, comme quoi, il doit y avoir un sorteo réglo, ou alors les peones sont indignes de confiance... Ah, si jamais l'un des deux autres objets l'avait touché, peut-être aurions-nous vu quelque chose. Et encore... Tomás sort quelques gaoneras peu inspirées au 4 puis s'envoie un quinto violent en distillant quelques détails au passage. Je me souviens surtout du coup de patte de l'antérieur droit que lui asséna le bicho. Si l'on excepte les pâtisseries que nous firent déguster les señoritos catalans assis devant nous, la soirée semble fichue ; de toutes façons ça partait mal puisque dès l'entrée le dernier convive faisait la gueule. Même les statuaires prévues pour ponctuer la faena, restent à l'état d'esquisse. Aciers approximatifs et le Juli s'en va serrer la mâchoire un peu plus pour donner le bain à l'objet de son courroux face au 6. Vraiment, je n'ai pas aimé : l'approche, l'intention et le style, rien ne m'a plu.

Puisqu'il fallait triompher, Juli s'en tint à un style pueblerino égrenant des passes comme un dévôt distrait triturant son chapelet : tartufferies dans la chapelle. Muleta étouffante et saccadée, pesant autant sur le public en fin de série par grimaces et gesticulations que sur le torito pendant la faena, l'ensemble sera ponctué d'une demi-lame tendida. Une oreille. Malgré l'insistance du peón et du public, la seconde ne tombera pas. Même sous ses faux-airs de Benidorm, à la Monumental de Barcelone, on n'est quand même pas à Nîmes ! D'ailleurs, on n'y est pas encore, c'est pour ça qu'au moment du chant de sortie, on est déjà dans la voiture pour y rentrer. Expectación, decepción, la messe est dite.