Nous nous en doutions un peu, mais maintenant, c'est sûr : ces petits pas de balerine que cet impayable Javier Conde affectionne tant, c'est bien de sa charmante épouse qu'il les tient. Sauf que cette dernière, c'est ce qu'elle fait de moins bien, tandis que lui, c'est ce qu'il fait de mieux.
Hier, la charmante cantaora a conquis un public parisien auquel elle avait fait faux bond il y a quelques années pour cause de maternité. Un public accouru nombreux pour, le plus souvent, découvrir une chanteuse popularisée par le dernier film de Pedro Almodovar, dans lequel elle prête sa voix à Penelope Cruz, pour l'interprétation du célèbre tango de Carlos Gardel revu à la sauce flamenca.
Il y a toujours quelque chose de décalé à écouter du flamenco dans une grande salle parisienne (ici au Théâtre Chaillot), même si le répertoire d'Estrella Morente est léger, gai et romantique. Quand on a vingt-sept ans, ce n'est pas évident de chanter hondo ; il y manque le poids des ans, les cicatrices de la vie, les pleurs, les larmes, la tristesse et la mort. Mais dans ses choix adéquats, elle excelle et atteint parfois une certaine profondeur rare pour son âge.
Bien sûr, c'est un peu trop bien léché, propre et lisse. Tout est joli, bien mis en scène et parfaitement maîtrisé. On sent tout de suite qu'il ne s'agit pas de flamenco d'arrière-salle de bistrot enfumé. On regrette un peu le verre de "wiki" abandonné près du pied de la chaise, et le paquet de clopes. Mais on se laisse peu à peu convaincre, en se disant que la voix est belle, que le guitariste maîtrise bien son sujet et que finalement, ça ne fait pas de mal un peu de chaleur au beau milieu de ce mois d'avril sibérien.
Là où vraiment ça coince, c'est au niveau du public, justement. Imaginez un instant Morante de la Puebla réalisant un faenón devant treize mille spectateurs conquis et subjugués mais... parfaitement muets. Même si l'héritière des Morente et les membres de sa troupe* bien rodée ont dû finir par s'y accoutumer, ça doit faire bizarre de chanter et jouer devant un public plongé dans une obscurité opaque et aussi silencieux qu'une Maestranza indifférente**. Difficile, aussi, de rester totalement sous le charme quand des applaudissements polis se font entendre par quelques centaines d'auditeurs croyant la chanson terminée.
Il s'agit là sans doute des limites du genre. On reste un peu sur sa faim, mais on a vécu de beaux moments.
NB Aucune photographie n'illustre ce message, toute prise de vue sans accréditation étant formellement interdite dans les salles de spectacle. Au moins une chose qui, en pratique, ne nous est pas encore totalement interdite dans les arènes. Toutefois, pour la première fois cette année, un membre de la sécurité des arènes de Séville m'a interdit d'utiliser mon appareil, ce à quoi j'ai moyennement obtempéré...
* Estrella Morente (chant), "Montoyita" et "Monti" (guitare), Antonio Carbonell, Ángel Gabarre et Enrique Morente Carbonell (palmas, choeurs) et Pedro Gabarre "Popo" (percussions).
** Pour la petite histoire, la douce et tendre épouse de Javier Conde consacre une chanson à ce dernier ("cuando hace el paseíllo en la Maestranza...") ; c'est très joli, mais difficile de retenir son rire.