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17 mai 2013

Ce lieu où l’on ne s’arrête pas


On ne s’attarde pas devant une porte d’entrée. 

On sonne, puis on entre. On sonne, on frappe, puis, si personne ne répond, on repart. On ne reste pas devant une porte d’entrée. On passe, c’est tout. 

D’ici, c’est l’Andalousie que l’on veut pénétrer. On devine ses premières rondeurs, et l’horizon céruléen n’autorise qu’un aperçu furtif, mal esquissé, d’une surface sombre et infinie, encore sans arôme. Il faudra s’approcher. 

On ne s’arrête pas ici, on entre plus profond — deux parois nous contraignent ; on entre, heureux et conquérant. 

Dans sa biographie du photographe Henri Cartier-Bresson1, Pierre Assouline considère que le maître n’a réalisé qu’une seule photographie « érotique » dans sa vie : la photographie d’une allée d’arbres prise en pleine Brie, en 1968. L’Origine du monde en mode Leica, sans recadrage, évidemment, jambes écartées à la vue de tous les gamins du monde. La métaphore peut paraître osée, aisée, mais elle s’applique aussi à ce lieu où l’on ne s’arrête pas. 

Ici donc, c’est la chatte de l’Espagne, une vulve acérée, un con aux allures gothiques d’où accoucha l’Espagne chrétienne un jour de juillet 1212 — bataille de Las Navas de Tolosa. Alphonse VIII et les siens en remontrèrent aux Almohades, bien décidés à entrer plus avant, à franchir ce seuil fantasmé que cinq cents ans de préliminaires avaient décidé d’ouvrir. Ces temps lointains étaient plus enclins à l’assaut viril qu’aux roucoulements romantiques, et l’on jeta les « chiens » arabo-musulmans dans les abîmes de ce vagin sublime, ouvert au ciel et au-dessus duquel même Dieu — lequel ? — sentait s’affermir ses lubies. De là viendrait le nom de ce lieu où l’on ne s’arrête pas : Despeñaperros. 

C’est le défilé de Despeñaperros, où l’on glisse en 2013 sur l’asphalte usé d’une autovía surchargée. On ne regarde que les panneaux qui annoncent Córdoba, Sevilla ou Granada ; et le reste, les lèvres aiguisées, gourmandes et offertes, ici quoi, n’existe plus mais l’on repassera… sans s’arrêter, éjaculateurs précoces de l’errance que nous sommes tous devenus. 

La Carolina est le premier bourg sur la droite et, malgré les apparences, La Carolina signifie « mâle » dans ses origines germaniques. Pute éblouissante, gueularde, parfois trop belle, parfois trop femme, l’Andalousie ne se donne que sous le regard de ce clitoris blanc et ocre pointillé de toros et strié de cheminées de mines délaissées. 

Car les toros ont des couilles ! 

Alors il y en a partout, ici, dans ce lieu où l’on ne s’arrête pas. On croirait même une carte postale pour satisfaire ces millions de passants-à-toute-vitesse dont le seul désir est de filer vite arroser de leur lourdeur, de leur fatigue, de leurs rêves aussi, la caverne vendue de l’ancien Al-Andalus. Ici où ne s’arrête personne, les toros appartiennent à la ganadería Orellana Perdiz — Murube pour rejoneo. 

Des toros sur le clitoris de l’Espagne.


1 Pierre ASSOULINE, Cartier-Bresson, l’œil du siècle, coll. « Folio », Gallimard, 2001.


>>> Retrouvez, sous la rubrique « Campos » du site, une galerie consacrée à l’élevage Orellana Perdiz.

25 septembre 2009

Mou ! rou ! bé !


Murube ! Prononcer "mouroubé". Ça fait toujours son petit effet de le mâcher comme eux, la bouche fermée comme handicapée, en insistant bien sur chaque syllabe, un peu comme si elle pesait un double quintal la syllabe : « Mou ! rou ! bé ! »
Et question quintal, et barbaque, ça s’y connaît le murube, rectangle mal arrondi tracé grossièrement, noir tout entier, même l’œil il est noir, y’a que ça quasiment en boutique*.
La boutique, d’évidence, elle va mettre la clef sous la porte un de ces quatre parce que, vilaine rengaine, faut bien que ceux-là crèvent pour que ceux-ci respirent, s’étalent, se répandent. C’est la Loi, c’est comme ça, ça fout les jetons parce qu’on est un de ceux-là un jour. Et le murube, il est crevé ou c’est comme si, il sue le mal de tous les pores de son bide trop bas, il bave sa rage par les creux sombres de ses yeux mais il crève, en sursis, il agonise comme une civilisation, ce qu’il fut, il meurt là comme une courtisane oubliée que le corps abandonne un jour de grand beau temps, et qui pleure de ne plus plaire, maintenant, qu’aux souvenirs de ses amants d’avant.
Parce qu’être toro de lidia d’encaste Murube en 2009, pour sûr que ça renifle le sapin, l’encens, l’haleine du calotin ou celle des pissenlits à force de tendre le mufle vers le trou de balle de grands bourrins presque gymnastes, d’une potence aux relents de crottin. Pour un qui veut se battre, crever le nez dans la merde, c’est crever deux fois plus mais c’est crever quand même, y’a aucun doute.
Mou ! rou ! bé !
- « Le murube, il combat comme il sort. S’il sort bon, il sera bon tout le combat. S’il sort mauvais, il reste mauvais ! »
Il a lâché ça, sûr de lui, sans hésiter, droit et raide. C’est ça qu’il voulait dire. Le murube, il est comme ça, c’est pas autre chose, c’est bon ou c’est mauvais, ça finasse pas le murube, ça se prend comme c’est le murube, bon ou mauvais, noir tout entier, du rustre, du mal dégrossi, un bloc… et toc !

C’est tout ça qu’il a voulu dire, le mayoral, et on l’a cru qu’à moitié son histoire tout droit et raide qu’il était, tout sûr de ce qu’il balançait. On l’a cru qu’à moitié, comme si on avait été absent, à regarder dehors par la fenêtre, à rêver d’autre chose. Le murube, ça colle pas le rêve en plein hiver ! On l’a pas cru, ou alors qu’à moitié, mais c’est peut-être pour ça, pour ce qu’il racontait, qu’il expire le murube ou peut-être à cause de sa faiblesse récurrente ou peut-être aussi, va savoir, qu’il est entré dans le cercle trop grand de ces autres, ces ceux-là qui trimballent leur race jusqu’à la lie, dans la certitude de n’être déjà plus qu’ombre et poussière, ceux-là qu’on ne voit plus, ou presque plus parce que les modernes ont le vent en poupe et se répandent, mais qu’on aimerait bien voir demain parce que l’hiver, le rêve... Ça vaut un feu de cheminée !

* Le pelage noir est le pelage ultra dominant de l'encaste Murube. Cependant, il est possible d'y trouver aussi des castaños, des tostados et encore plus rarement des colorados. De même, il semblerait que certains élevages d'encaste Murube voient, de manière sporadique, surgir des animaux avec une partie du pelage blanc. C'est le cas en particulier dans la ganadería de La Castilleja (Cordoue) comme ce fut le cas aussi chez Niño de la Capea. A ce sujet, vous pouvez lire l'article paru dans la revue 6Toros6 en 2004 (n° 523), "Los murubes blancos".

>>> Retrouvez la galerie consacrée aux Murube de Castillejo de Huebra dans la rubrique CAMPOS du site. Et comme ces gens-là aiment la difficulté, ils élèvent aussi, sous l'appellation Sánchez Cobaleda, du Vega-Villar ainsi que du Santa Coloma (ligne Buendía) sous le fer de Terrubias. Vous trouverez également les galeries de ces deux élevages dans la rubrique CAMPOS ainsi que les fiches techniques de chaque élevage sur www.terredetoros.com.

Photographies Deux exemplaires de Castillejo de Huebra, 2009 © Campos y Ruedos