13 décembre 2012

Niemeyer n’a pas construit les arènes de Luanda


Le geste taurin du mois écoulé est unanimement attribué à Tendido69 par moi-même. Résister une semaine à la tentation de vous balancer une galerie de photos sur les avenues désertes de Brasilia sous ciel nuageux en hommage à Niemeyer, appelez ça comme vous voudrez, moi je colle un 10 en aguante. Et puis Philippe a insisté, et puis on a débattu entre nous : pour ou contre Brasilia ? Vous ne savez pas à quoi vous échappez sur la liste des collaborateurs ! Personnellement, je suis plutôt pour, mais Batacazo est plutôt contre. Je résume. En ce qui me concerne, je pense à la feijoada et au manguier qui, cette fois-ci, va avoir des fruits pour Noël, et puis c’est cool, un concept quasi intact, des lois antipublicité sur l'Eixo monumental ; j’y connais des gens sympas avec qui la vie a plutôt été agréable elle aussi. BataKa, lui, y a vu des mecs se fracasser au crack… Forcément, ça donne pas une première impression terrible. Il y aura un jour une vie à Brasilia, une identité pour ses habitants qui ira au-delà de la ville bizarre et du statut de fonctionnaire qui s’ennuie dans la complaisance du boulot parfait. Faudrait penser à y installer un vrai club de foot pour commencer ; je n’ose évoquer des arènes.

Pour ma part, je traînais à Luanda pour quelques heures la semaine dernière et, bien sûr, j’y ai cherché des arènes via Internet. Pourquoi pas ? Vous trouverez à Lisbonne des magasins de gravures vendant des affiches de corrida à Lourenço Marques, au Mozambique, alors oui, pourquoi pas l’Angola ? Elles existent mais semblent inachevées. Profitant de la présence de notre collègue Alva, Portugaise exténuée sous les tropiques depuis trente ans, je me renseignais sur ces arènes entre deux rendez-vous. « Pendant la guerre civile, ils y organisaient des procès publics… » Charmant. On imagine le dialogue MPLA/Unita réglé à la kalach’. Olé ! D'une pierre deux coups : Niemeyer n’aurait-il pas chantourné un bâtiment « inspiré des courbes féminines », comme le déclamaient les nécros de la semaine passée, ou posé un immeuble délicieusement sixties, avec le rez-de-chaussée ouvert, quelque part entre l’Avenida da revolução de Outubro et l’Avenida Engels ? Nenni ! Tout juste fut-il pressenti pour un projet de nouvelle capitale pour l’Angola il y a quelques années. Quand la conviction communiste, la légende de Brasilia et la communauté linguistique ne suffisent pas…

Niemeyer toujours, mais de son vivant : une semaine avant le départ du grand architecte, Diego Urdiales passait une soirée parisienne au Club taurin. Wolff en embuscade, Araceli assurant la traduction en simultané, l’éloge liminaire du président de l’association justifiait à lui seul de risquer sa peau face à des carnes des années durant. J'aurais dû faire torero ! Urdiales, stoïque, droit comme un « I », le sourire avenant et le profil tranchant, promenait sur l’assistance débonnaire son regard intrigant. Il y a du Jack Palance chez cet homme, pas seulement dans le physique. 

Belle initiative que celle d'inviter un torero de cette catégorie venu expliquer, en toute simplicité, le quotidien d’une « access figura » et l’abnégation quotidienne nécessaire, année après année, pour se hisser à une place au soleil parmi les vedettes, quand le mundillo vous a assuré dans le hall d’accueil que la réception était privée. Vinrent les questions… « Quels élevages aimeriez-vous toréer plus ? — Eh bien… (sourire radieux) Garcigrande, Núñez del Cuvillo, El Pilar, Juan Pedro, Parladé, Domingo Hernández, etc. » La salle attendrie communie, « se forge une félicité qui la fait pleurer de tendresse » (La Fontaine) devant tant de bon sens. Ce garçon mérite sa place au banquet quand se présente le chariot de desserts !

Soit. « Maestro, quels élevages ne voulez-vous plus toréer ? Parce que le Domecq à la longue… ça lasse et c’est là qu’est l’os… Ne vaudrait-il pas le coup de devenir la figura faisant de vrais gestes au cours d’une saison avec des élevages réputés plus difficiles ? » 
Vous connaissez la réponse, elle est invariable : « Il n’existe pas de toros difficiles et de toros faciles, mais de bons et de mauvais toros. Le torero croit au toro bravo permettant le toreo, pas au toro manso sorti de son morphotype par les exigences de publics ignares. De tout temps les vedettes ont choisi leurs toros, et si elles toréaient les Pablo Romero c’est parce que ceux-ci étaient bons à l’époque. Et puis ce genre de gestes n’est pas reconnu… » Dans la salle, les regards se font lourds. On jurerait avoir manqué de délicatesse. J’aurais dû dire que j’étais à Nîmes, en septembre, pour ne pas avoir l’air trop léger dans mon afición…

La dernière question fut la plus intéressante, elle évoquait une citation d’un livre de Domingo Ortega : « El toreo empieza cuando se para el toro. » La réponse s’avéra passionnante mais fut écourtée, car il fallut passer à table, le poulet allait refroidir. Diego Urdiales vint « remater » la question un brin gênante des toros en privé, de façon simple et cordiale : « Y torear de verdad, ¿qué es? — C’est  toréer avec les talons bien plantés dans le sol. » Olé Maestro !