31 juillet 2012

Afición de Gascogne


À Jean-Luc Laboudigue et aux Gascons fiers de l'être,


Entendre les tibles et fiscorns de la cobla cérétane sur le Paseo du génial Comelade, c'est défier toutes les premières lignes du monde à Gilbert Brutus ou Aimé Giral, le poing serré sur le cœur et dire : « Nous, les Catalans… »
Entendre les gaïtas de Bilbao enroulant la pose des banderilles sur des aurochs magnifiques dans des ruedos gris austère, c'est traquer à la rame la baleine à travers houle et tempête jusqu'au Saint-Laurent et la harponner enfin de sa main en disant : « Nous, les Basques… »
Quand j'ai entendu la flûte qui rythmait le pas du banderillero face à ces bestiaux lusitaniens dignes des plus spectaculaires bas-reliefs crétois, mon cœur et mes tripes ont enfin senti l'intense brûlure amoureuse que ma terre porte à la bravoure, à la force, à la beauté du combat et l'amour du défi. De la pinède infinie aux Pyrénées en passant par les collines de Chalosse, tout ici chantait le courage des combattants de l'arène et la rude tendresse des gens de chez nous. Immense témoignage et superbe initiative que seuls les couillons ignares et autres peuilloutres gênés d'être nés quelque part ont sifflé comme un outrage à l'accent qui roule, au cancanement des oies, à Rachou de Mouscardes, à la morsure sucrée du Floc, au quillet du Guit de Montfort, au souvenir de notre ami Charlie Couralet, au toupin de garbure fumant, à la souche de chêne dans la cheminée, au pin tenant tête au vent de l'Atlantique, à la cloison nasale tordue de tous ceux qui ont trébuché devant « Fédérale » et aux arcades gonflées de ceux qui serraient les dents pour mieux encaisser les tampons barbares du regretté Lansaman.

Voir ces tíos lusitaniens galoper dans ce ruedo coincé entre le Gave et les Pyrénées, couilles en avant et tronche sauvage au vent, nuages accrochés aux pitones, prêts à péter comme des brutes dans tout ce qui leur cache la vue sur l'horizon ; les regarder ainsi s'éclater de bonne grâce le groin sur les petos dans des tercios hommages à l'art de piquer au son de la douce ritournelle de notre valeureuse Gascogne, c'était comprendre que cette terre avait enfin trouvé le moyen d'éclater aux yeux de notre monde et d'affirmer crânement, menton haut, œil vif et moustache du fier mousquetaire : « ¡Que soy! »

« Approche, Bertrandou le fifre, ancien berger ; / Du double étui de cuir, tire l'un de tes fifres, / Souffle et joue à ce tas de goinfres et de piffres / Ces vieux airs du pays, au doux rythme obsesseur, / Dont chaque note est comme une petite sœur, / Dans lesquels restent pris des sons de voix aimées, / Ces airs dont la lenteur est celle des fumées / Que le hameau natal exhale de ses toits, / Ces airs dont la musique a l'air d'être un patois ! […] Écoutez, les Gascons… Ce n'est plus, sous ses doigts, / Le fifre aigu des camps, c'est la flûte des bois ! […] C'est le lent galoubet de nos meneurs de chèvres !… / Écoutez… C'est le val, la lande, la forêt, / Le petit pâtre brun sous son rouge béret […] Écoutez, les Gascons : c'est la Gascogne ! »

Ces mots de Cyrano à ses cadets aux portes d'Arras, fils de Fébus ou d'Arnaudin, joueur de flûte, aficionados de Gascogne, je vous les dédie.