07 novembre 2011

Où l'on reparle des fundas


À Laurent Giner,

Lors de la dernière Feria del Pilar de Saragosse, les aficionados aragonais ont eu la chance de voir six toros de Fernando Pereira Palha fouler le sable du coso de la calle Pignatelli non pour une corrida mais pour un concours de recortadores. Cela fait bien longtemps que les veragüeños multicolores de Fernando Palha n'intéressent plus la soldatesque de l'escalafón ainsi que nombre de personnes qui ne vont aux arènes qu'à l'unique fin d'applaudir des figuras indignes de leur surnom. Bref... Ce concours de recortadores était organisé par l'empresa Toropasión et l'événement fut communiqué comme tel : un événement. « Le retour des légendaires Palha » était annoncé sur le Net et l'affiche du spectacle permettait de savourer la fachada inquiétante d'un superbe ensabanado capirote très en pointe, extrêmement en pointe même. Sauf que ! Sauf qu'à y regarder de très près, les pitones de ce magnifique animal paraissaient bien trop développés et bien trop aigus pour être bios. Pour avoir eu la chance de photographier ce toro un an auparavant du côté de Porto Alto, le doute n'en était que plus pregnant et certains aficionados avisés ne se privèrent pas pour nous faire savoir par e-mail qu'ils trouvaient que sur les terres riojanaises de l'empresa Toropasión (empresa qui avait acheté l'intégralité de la camada de novillos en 2010) les cornes poussaient vitesse grand V. En vérité, et après fouille minutieuse, il semble établi que La Rioja ne soit pas un terroir plus prompt à la pousse de cornes démesurées que d'autres en Espagne, ou au Portugal. Par contre, il est totalement clair que l'interface de Photoshop fasse, en ce domaine, des miracles. Expliquons-nous : les toros de Fernando Palha étaient affublés de fundas avant leur rendez-vous aragonais. Prions Dieu ou Shiva que le maître d'« Areias » n'ait pas vu ces clichés ! L'empresa a d'ailleurs publié sur son site une vidéo sur laquelle on voit les Palha « enfundés », de même qu'elle a cédé certaines photos à d'autres blogs comme celui-ci, photos qui témoignent clairement de l'usage odieux de ces fundas sur de telles bestioles. Dans cette série de photos apparaissent tous les exemplaires de Saragosse mais, sur les dernières, aucun ne porte de fundas. Peut-être l'empresa les avait-elle ôtées avant la prise de vue ? Peut-être y a-t-il eu plusieurs prises de vue à des moments différents ? Il est difficile de vérifier mais, à se pencher de très près sur les photos sans fundas, la manipulation informatique ne peut être qu'envisagée tant il semble qu'on ait rajouté un pitón sur le bout de la corne pour dissimuler les fundas.
Il est douloureux de constater, d'autant plus s'agissant de toros rares et précieux comme ceux de Fernando Palha, que l'on en arrive à de telles pratiques frauduleuses et irrespectueuses de l'aficionado, de l'éleveur et du toro.
Concernant les fundas, nous ne pouvons que vous conseiller la lecture du résumé d’une conférence donnée le 10 mars 2011 par le vétérinaire Francisco Salamanca (professeur vétérinaire à l’Université complutense de Madrid). Cette conférence avait pour thème « L’influence des fundas sur les taureaux de combat » (El rincón de Ordóñez).

Le professeur présentait là un premier bilan de trois années d’étude entamées en 2007-2008 portant sur 2664 reses de lidia allant de l’utrero (comprendre novillo) au cinqueño et principalement lidiées dans des plazas de Castilla y León. L’objectif de cette démarche scientifique était de déceler ou non des différences au niveau de la dureté de la corne selon que les toros portaient des fundas ou pas. Francisco Salamanca présente en préambule le jeune historique des fundas (une dizaine d’années) et rappelle que celles-ci peuvent prendre différentes formes et être élaborées avec divers matériaux (fibre de verre, plâtre...). De même il affirme d’entrée de jeu que les fundas abîment la kératine de la corne en empêchant une bonne circulation de l’oxygène et renchérit sur ce thème en déclarant que lors de la pause des dites protections le processus d’endurcissement du matériau (il évoque particulièrement les matériaux à base de plâtre — escayolas) provoque une réaction de chaleur et brûle l’extérieur de la corne affectant par là même le processus naturel de kératisation de l’ensemble du pitón. Il semblerait que des expériences utilisant des produits plus poreux et moins agressifs pour la corne soient actuellement menées au campo, ce que présente par exemple le blog Toros y sanfermines.
L’étude du professeur Salamanca et de ses collègues a été conduite avec duromètre sur trois parties de la corne : le pitón (partie la plus dure), la pala et la cepa (base de la corne) ainsi que sur les parties externes et internes de la corne.
Le premier constat qu’il dresse est qu’il n’y a pas de différence de dureté naturelle des cornes entre les différents encastes, pas plus qu’il n’y en a entre les variétés des robes. Partant de là, il explique que l’analyse de 42 cuatreños et 36 utreros a permis d’estimer la dureté moyenne des cornes des toros élevés sans fundas à 89-90 Shore pour les cuatreños (le professeur note qu’il y a une différence significative de dureté des cornes entre un cuatreño et un utrero, ce qui peut paraître logique étant donné qu’un utrero n’est pas arrivé au terme de sa croissance). Cette dureté correspondrait à une traction de 220 kilos par mm2. L’analyse des toros « enfundés » donne un résultat qui oscille entre 78 et 82 Shore (sans prendre en considération le moment où ont été enlevées les fundas — 15 jours avant ou juste au moment de l’embarquement). Le vétérinaire en conclut donc que les toros qui subissent les fundas présentent dans le ruedo des cornes moins dures que celles des toros élevés sans cette manipulation. Il précise que leur étude les a également amenés à interroger les mayorales de ganaderías dans lesquelles les fundas étaient utilisées. Selon Francisco Salamanca, 96 des 132 sondés ont affirmé que les pertes de toros ou les blessures de campo étaient les mêmes qu’auparavant et que les fundas n’avaient rien bouleversé en ce domaine. Néanmoins, il avoue que ce sondage a ses limites puisque les ganaderos — ayant présenté d’autres chiffres pour justifier l’usage des fundas ont amené les vétérinaires à stopper leur enquête.
Au final, que penser ? Les arguments avancés par ce vétérinaire sont contredits par d’autres vétérinaires et par nombre de ganaderos utilisateurs de fundas (lien Toros y sanfermines). D’aucuns nous invitent à avoir confiance dans les ganaderos car ce sont eux qui vivent pour le toro et par le toro — encore faudrait-il savoir ce que l’on entend par ganadero. D’autres s’en moquent, les plus nombreux, tout comme le grand public et une frange non négligeable d’aficionados. Peut-être ont-ils raison de s'en moquer, après tout, de n'avoir que faire de ce qui se passe en cuisine ? Pour autant, à partir du moment où l’utilisation des fundas engendre plusieurs manipulations qui affaiblissent et dénaturent un animal peu enclin à se laisser naturellement faire, on pourrait penser que cela devrait non seulement les intéresser mais les inquiéter.

Photographies Un Palha con fundas dans la finca de Toropasión, photo empruntée au blog Aragontaurino.net mais propriété de Toropasión & un novillo de Partido de Resina à moitié « fundé »... © Laurent Larrieu / Camposyruedos.com