02 novembre 2007

"La vieille dame" répond à André Viard


La revue Toros nous a transmis ce communiqué du 1er novembre 2007 concernant l'affaire que vous savez.

Communiqué de la revue TOROS (1er novembre 2007)
Suite à son communiqué précédent, la revue a été prise à partie, avec véhémence, les 29 et 30 octobre, dans la rubrique « actualités » du site Terres taurines. Voici sa réponse.

« La vieille dame » répond à André Viard
Mon tout-petit,

Puisque tu persifles abondamment sur mon âge vénérable, tu permettras que je t’appelle ainsi, en souvenir aussi des dessins que tu m’envoyais si gentiment, dans le passé, et que je publiais alors avec plaisir. Trente ans se sont écoulés et, maintenant, dans tes « actualités » de Terres taurines (29-30 octobre), je lis sous ta plume que « je grince », que je suis « sourde », que j’ai des « aigreurs », et que je veux « faire croire que j’existe encore » — bref, tu t’imagines que le curé est déjà dans l’escalier, et ça a l’air de te faire plaisir. Je te dirai même que, quand tu écris « mon devoir est de la prier de se taire », je me demande si, te croyant investi de Dieu sait quelle mission, tu ne rêves pas de venir, un soir, m’étouffer avec mon oreiller !
Tout cela m’inquiète beaucoup. Pour toi, bien sûr, car je suis très gênée de penser qu’un matador de toros, et Français, puisse devenir un agresseur de vieilles dames. Et quand tu me compares à « l’hidalgo famélique du Lazarillo de Tormes qui sortait dans la rue un cure-dent à la bouche pour faire croire qu’il avait mangé », je suis tout simplement effarée de voir que tu connais dans les moindres détails cette littérature picaresque sans foi ni loi, qui fourmille d’arrivistes et de menteurs. Mais, en ce qui me concerne, je suis désolée de te l’apprendre, je mange à ma faim et, même si j’aurai quatre-vingt-trois ans aux prunes, je me porte comme un charme, d’autant que je suis bien gardée et entourée d’affection.
J’ai en effet une équipe de collaborateurs dévoués et compétents, dont le rajeunissement régulier constitue un bain de jouvence efficace. Tu écris qu’ils sont « déconnectés de la réalité » : c’est tout à fait vrai, si l’on entend par là qu’ils ne sont pas dépendants des empresas, des ganaderos et des toreros, et qu’ils refusent la pratique actuelle qui fait tendre la main pour obtenir des subventions et des publicités, officielles ou déguisées. Mais pour le reste, ce sont des gens bénévoles, honnêtes et désintéressés, comme tout le monde le sait.
J’ai aussi autour de moi un nombre appréciable de lecteurs fidèles, qui suffisent à assurer mon indépendance et ma liberté, et qui ne sont nullement « captifs et timorés », comme tu le dis. Ils ne cessent de m’envoyer de petits mots de longue vie, et de me soutenir dans les combats que je mène, depuis mon plus jeune âge, et avec la même détermination.
Ce qui m’inquiète aussi, c’est le risque du ridicule que tu prends lorsque tu tentes de faire croire que j’ai toujours été hostile aux toreros français. Quand ils sont bons, je le dis, et quand ils sont moins bons, je le dis aussi, et, selon la célèbre formule de Beaumarchais, « sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur ». Je juge sur pièces, tout simplement, c’est-à-dire sur ce qui se passe dans l’arène, et qu’il s’agisse de Français, d’Espagnols ou de Vénézuéliens, c’est ce jugement que je transmets, par mes articles, notamment à ceux qui n’ont pu assister aux corridas. Dans un message diffusé à tes connaissances, le 26 octobre, tu m’accuses même d’avoir brisé, il y vingt-cinq ans, ta carrière de matador : il me semble que là, c’est ta mémoire qui flanche, et que tu as tendance, avec le recul, à confondre Toros et les toros que tu as eu à affronter.
Justement, pour ce qui est de « juger sur pièces », j’ai l’impression que tu n’as pas compris le sens de ma réaction contre ton éditorial du 22 octobre, et, plus encore, contre la lettre que tu as envoyée le 3 octobre au Président de la République. Tu vas encore dire que je « radote », mais quand tu as écrit : « nous vous demandons de ne pas interdire l’entrée des arènes à nos enfants dès lors qu’ils sont accompagnés de leurs parents », je pense que tu n’as pas songé aux conséquences de cette formulation. Ni à ton cousin Jojo qui aime bien fréquenter les n.s.p. entre copains, ni à ma filleule Louisette qui est brinquebalée tous les dimanches entre deux parents divorcés, ni même à toi, mon tout-petit, qui serais sans doute entré beaucoup moins souvent aux arènes, avant ta majorité, s’il y avait eu ces conditions draconiennes.
Tu vas me rétorquer que tu y as pensé, mais que, selon tes propres termes, « on est parfois contraint de plier sur l’accessoire afin de se donner du temps pour n’avoir pas à le faire sur l’essentiel ». Donc, « plier », c’était de ta part un repli tactique. Or, celle que tu appelles « la vieille dame » te le dit, tu as pris là une responsabilité délicate : car, crois-en ma vieille expérience, quand les politiques et les cabinets ministériels ont dans leurs cartons une demi-mesure qui risque de faire des vagues, ils font souvent croire que le pire est inévitable, pour que les négociateurs aient l’impression d’avoir sauvé les meubles, et, mieux, qu’ils demandent eux-mêmes cette demi-mesure. Tous les syndicalistes le savent, et aucun d’entre eux n’est jamais entré dans une salle de négociations en ayant accepté, a priori, la moitié des licenciements qui menacent. Sans compter que, si l’on fait, soi-même, la moitié du chemin, on risque fort, à l’arrivée, d’être marron aux trois quarts…
Dans tout cela, ta bonne foi a peut-être été surprise – il n’y a jamais de honte à être un peu naïf, même si c’est souvent désastreux pour la cause que l’on défend. Mais cet inconvénient aurait été aisément pallié si, informé de l’ampleur du danger, tu avais largement alerté ceux au nom desquels tu as prétendu écrire – c’est-à-dire « le monde taurin français », « le million de spectateurs qui fréquente nos arènes chaque année » et « les millions de visiteurs qui voient dans nos férias un espace de liberté ». Tu aurais bénéficié d’abord de conseils de juristes compétents, de familiers des négociations difficiles comme il en existe dans l’afición, et ensuite de l’appui des publications spécialisées, des médias, et tout simplement de la « base » aficionada qui représente une vraie force.
Cet appui aurait été d’autant plus précieux et efficace que les aficionados français sont beaucoup plus déterminés que ta lettre au Président ne l’a laissé entendre. Jour après jour, Toros reçoit des motions (émanant, à ce jour, des Bibliophiles Taurins, des Critiques Taurins du Sud-Est, de la Fédération des Sociétés Taurines de France), des messages de présidents d’associations spécialisées (les chirurgiens taurins, par exemple), de clubs et de peñas, de maires de villes taurines, qui expriment tous leur même exigence d’un combat livré sur des bases claires, refusant toute restriction de l’assistance aux corridas, pour les parents comme pour les enfants. On voit se former là un beau mouvement collectif, qui rappelle à la « vieille dame » que je suis des luttes plus anciennes (et victorieuses) et il n’y aurait pas de gêne à ce que toi, comme d’autres, vous vous ralliiez à ce mouvement. Certains t’ont déjà demandé de rectifier ta position, tu t’y es refusé (pour le moment), en préférant affirmer que si d’aventure « en bon politique, le président coupe la poire en deux », il faudra considérer que « l’essentiel est préservé » (Terres taurines, du 23 octobre). Quand on voit l’évolution de la Catalogne, depuis la première mesure d’interdiction, il est permis d’en douter. C’est ce que fait, depuis l’origine, « la vieille dame », et désormais de plus en plus d’autres.
Tu le vois, quand tu écris : « la vieille dame se met à radoter, au risque de mettre en péril les stratégies mises en place, mon devoir est de la prier de se taire avant qu’elle ne fasse tout rater », ce n’est ni gentil, ni responsable. Si « tout rate », si l’on en arrive aux mesures radicales que réclament les « antis », et même si « ça rate à moitié », ce sera la faute, bien entendu, des gouvernants qui auront pris des décisions iniques. Mais, quoi qu’il arrive, l’afición aura le droit de se poser des questions sur « les stratégies » menées jusque-là, fondées sur les cachotteries ou les concessions préalables, et elle les posera à ceux qui ont voulu les définir et les conduire. Alors, essayer de faire porter le chapeau à « la vieille dame », c’est un peu fort de tisane. Mais ça n’est pas grave. « La vieille dame » sait que l’essentiel, c’est la présence libre de tous ses petits-enfants aux arènes, que c’est cela qu’il faut défendre sans faiblir, non seulement maintenant, mais plus tard, dans d’éventuelles résistances. Et si elle hausse un peu la voix, c’est au nom de beaucoup de braves gens, auxquels on n’a pas demandé leur avis, mais qui en ont un et qui veulent le faire entendre. En démocratie, la presse est là pour ça, tu devrais le savoir, pas pour « plier » ni « se taire »…
Voilà pourquoi, mon tout-petit, même si ça te contrarie, « la vieille dame » ne se taira pas, pas plus aujourd’hui qu’hier. Ni que demain, car, je vais te faire une confidence, j’espère bien devenir (au moins) centenaire, en gardant évidemment la même lucidité et la même combativité au service de la Fiesta Brava. Je vous en souhaite autant, à tes Terres taurines et à toi-même.
TOROS