27 avril 2007

"..." Feria de Abril 2007 (I)

Les pleurs de la vierge quittent ce bout de rue. Alors, l’ample murmure reprend son droit, redevient roi. Les Sévillans tuent leur silence de foi sur l’autel de la fête et de mots mitraillés, dévorés. C’est un paradoxe mais Séville aime le bruit et sa chaleur grinçante. Ça piaille dans les tavernes, ça caquette à tout va au-dessus du patio de caballos, ça couvre les commentaires du match Barça-Real, ça pinche des « jode' », ça descabelle les consonnes. On ne tourne pas sept fois sa langue dans la bouche aux abords du paisible Guadalquivir ! C’est comme ça, Séville aime le bruit, elle envoie du "son" ! Et, les toros sont là, sur le jaune ocre de la Real Maestranza de Caballería, sur les coups de l’apéro... en France. A l’heure où chez nous ça chuchote, eux se taisent pour deux heures. Les toros s’écoutent à Madrid, le silence les habille à Séville. C’est la bulería des "chut", la minute des oiseaux, le temps du vent. Rien d’autre !
Ici, il a son langage, son champ lexical, ses règles de grammaire. Le silence sévillan est un idiome muet qui en dit long et qui cause bien.
Iván García est blond... et se veut torero. L’on se ment surtout à soi-même finalement. La nuit avance doucement la jambe ce mercredi 18 avril 2007 et la lumière, déjà, n’est plus qu’un artifice. L’ultime toro de Palha, 'Gentil', castaño anodin subit, à distance, les faux muletazos du grand blond. Deux derechazos, un pecho, l’autosatisfaction se campe sur un visage en attente de claquements de mains. ... ! ... ! Rien. Solitude, comme quand on raconte une blague et que personne ne se fend la poire. Le mépris sans un bruit.

Manuel Escribano est presque blond et la nuit est, cette fois, entièrement croisée ce lundi 16 avril. Les toros de Cuadri ont entretenu la course face à trois segundones paresseux et en manque de recours. Un lot pour rien, comme souvent depuis quelque temps. Bien présentés, homogènes dans le noir et les pitones algo acapachados, les toros de "Comeuñas" sont sortis avec ce qu’il fallait de caste (oh ! pas des foudres de guerre), mobiles, certains bravitos. Fernández Pineda a montré de jolies manières que nie vulgairement Serafín Marín.
Escribano joue peut-être sa temporada ce jour et s’avance hors du burladero pour recevoir 'Tachuela' a porta gayola. Deux secondes de murmure et un siècle d’apnée. Les yeux hors des coquilles, comme poussés par cette adrénaline qui court jusqu’au dernier pli du rose de la cape, le silence tremble. Par respect, 'Tachuela' est sorti au pas, interrogeant gueule haute cette obscurité de sons. Même les toros aiment le silence !
En silence, le maître de musique a refilé sa baguette mais la trompette est toujours là et le sublime aussi. 'Gentil', ce Palha anodin que García regarde se balader dans ce cercle tordu de la Maestranza a décidé de ne pas bouger d’un sabot. Au second tiers opère la banda. Soudain, comme s’il le savait, ce cercle tordu est devenu le centre du monde parce qu’un morceau de cuivre faisait naître un poème, dans une éblouissante solitude. Comme ces tableaux de Matisse où dansent de grands hommes rouges, les noires et les blanches foutaient le camp vers l’univers et 'Gentil' n’a pas bougé, pas un centimètre, pas un millimètre. ¡Nada! Même les toros aiment ce silence... Génial ! Chaque note susurrait des mots simples filant loin de nous, silencieux, "fly me to the moon, and let me play among the stars, let me see what spring is like, on Jupiter and Mars..." Buen viaje.
Et puis, il y a tous les autres silences, toutes ces autres règles de grammaire qui expliquent Séville.
Il y a aussi, c’est obligé, les faux amis, ces verbes irréguliers d’une langue sans mot.
Le pire, le plus odieux, c’est ce silence qui devrait être émeute, ici et ailleurs, et partout aussi, à l’égard de ces piques laides et nullissimes qui scandent la féria. Pas un bruit pour dénigrer une carioca, pas un mot pour faire remarquer qu’une épaule n’est pas le bas d’un morrillo, pas un cri pour dire que tout cela est minable. Pour ce silence-là, Séville n’a malheureusement pas de monopole mais elle atteint cependant des sommets. Pôvres Cuadri, pôvres Cebada, pôvres Palha, pôvres Victorino et même, oui j’ose, pôvres Zalduendo. Un silence écoeurant pour des formalités d’usage au cours desquelles les toros sont placés à deux mètres, hors de la zone destinée, hors des canons d’un pourtant si beau tercio. Et quand la distance est parfois respectée, la sanction est sans appel et ces messieurs les nullards, plantés sur leur mule à peine dirigeable, aux ordres de soi-disant maestros, s’enchantent de détruire une épaule ou des reins... De la daube avant l’heure !
Je préfère l’écrire plutôt que de me taire...

>>> Retrouvez les photographies des corridas de Cuadri et de Cebada Gago sur le site à la rubrique RUEDOS.