15 mai 2006

Une photo, des histoires...

Ceci n’est pas à proprement parler un « batacazo » mais l’image reste cependant saisissante et témoigne des temps anciens de la tauromachie. La photographie est l’œuvre de Mateo, on devine la signature à la droite des pattes arrières du toro. Mateo fait partie des grands photographes taurins de « la edad de oro » de la corrida, la période qui s’étire plus ou moins entre 1910 et la mort de Joselito en 1920.

Né le 1er juillet 1896 dans la capitale catalane, Mateo collabora dès 1914 à la revue crée par Adolfo Dura, « La Lidia » (reprise de la célèbre revue "La Lidia").
Il couvrait les corridas se déroulant dans les deux plazas barcelonaises, la Monumental et Las Arenas. Son œuvre tauromachique est ainsi étroitement liée à sa ville natale même s’il parcourut l’Espagne pour suivre certains toreros dont Manolo Belmonte ou Armilita. Il était de coutume, à l’époque, qu’un photographe se mette au service d’une espada.
Ce témoignage historique sur la vie taurine de la cité de Gaudi est aujourd’hui en partie conservé au musée taurin Manolete de Villa del Río, dans la province de Cordoue. Il serait peut-être louable que certains politiques catalans anti-taurins fassent le voyage jusqu’à Villa del Río pour prendre conscience que l’on n’assassine pas une afición plus que centenaire à coups de décrets et autres circulaires.

Manuel Mateo Serrano est décédé en janvier 1984 dans la ville qui lui offrit son inspiration. La photographie n’est pas datée mais il est facile d’imaginer qu’elle fut prise avant 1928, date de l’introduction du peto, protecteur de frêles rossinantes. Autre symbole d’une époque révolue, ce cheval au « cul » de grenouille, haridelle blanchâtre comme pour mieux contraster le cliché. Une fois de plus, les temps ont bien changé et prouvent que la tauromachie se nourrit d’extrêmes. Autrefois maigrelets, décharnés, les chevaux sont aujourd’hui un paroxysme de lourdeur et de kilos.
La puya n’était pas encore à cruceta et pénétrait profond dans le cou des toros qui chargeaient sans cette distance minimum aujourd’hui imposée par les deux lignes des medios. C’était paraît-il « l’âge d’or » de la tauromachie, les règnes de Belmonte et de Joselito mais avouons que le tercio de piques, déjà, balbutiait ses fondements. Le toro pousse sur ses pattes arrières, a priori la tête est bien calée sur le flanc du cheval, mais la pique est portée dans les reins, loin de cette zone qui fait polémique dans l’afición depuis la nuit de temps peut-être. Morrillo ou juste derrière ? Ici, en tout cas, El Marinero pique en arrière, avec une force que sa position presque couchée sur le bois laisse imaginer. Le cheval est levé mais la suerte n’est pas exécutée « a caballo levantado » car le cliché laisse imaginer une présentation de flanc.
Les années 1910-1920 auguraient bien de ce qu’est devenu le tercio de piques même s’il faut rendre hommage à ces piqueros souvent héroïques d’oser défier des toros de combat juchés sur de pâles équidés comme sur un château d’allumettes.

N.B. : à consulter sur les photographies taurines d'autrefois, Antología de la fotografía taurina, 1839-1939, Juan Miguel Sánchez Vigil et Manuel Durán Blázquez, Editions Espasa Calpe, 1999.