27 avril 2011

L'insoutenable immatérialité de l'être (Partie 1)


D'Angkor Vat à la tarte tatin.

Aucun lien ? Pardi ! Une rue de Lyon, Patrimoine Moooondial de l'Humanité.
Le grand Timonier de l'ONCT nous a annoncé dans toute la splendeur de sa fierté, vendredi dernier (Vendredi Saint, Dieu est mort) le joli coup effectué par son machin : la corrida inscrite au patrimoine culturel immatériel... français (oin oiiin oiiiiin !) selon les "critères de l'UNESCO". On imagine le délire aux arènes d'Arles, "ma culture, ma liberté, mon identité" mais aussi, mon patrimoine culturel iiiimmmmatériel (PCI pour faire court) oui Môssieur ! C'est parti pour un concert de célébrations, une valse de protestations des z'antis, des dépêches qui se reprennent les unes les autres, le téléphone arabe et votre voisin de tendido qui ne devrait pas tarder à vous dire que la corrida est inscrite à l'UNESCO, façon Machu Pichu et Angkor ! OK, sauf qu'en l'occurrence et pour l'instant c'est le PCI tendance tarte tatin. Je m'explique. 
  • D'où sort le PCI ? 
Pour avoir tous les détails, je vous renvoie au site  de la mission ethnologie du ministère de la Culture et plus précisément à la page expliquant les différents aspects juridiques du PCI. En quelques mots : l'UNESCO a créé une convention en 2003 définissant le PCI (voir le texte sur le site de l'UNESCO). Cette convention a été ratifiée par de nombreux Etats qui, se faisant, s'engagent à "dresser, de façon adaptée à sa situation, un ou plusieurs inventaires du patrimoine culturel immatériel présent sur son territoire. Ces inventaires font l’objet d’une mise à jour régulière."
En France, c'est donc une commission à but ethnologique qui recense les différentes activités inscrites au PCI français avant éventuellement de soumettre certaines d'entre elles au comité de l'UNESCO en charge de dresser la liste du PCI de l'humanité (dont la liste des éléments "nécessitant une sauvegarde urgente").
  • Comment cela s'est il passé ? 
Joli coup, disais-je, car l'ONCT a monté son dossier loin des meutes antis et pros proférant des anathèmes ou des débats stériles en quatre colonnes dans les pages d'été de nos quotidiens, par le biais de cette commission scientifique, ainsi que son président l'explique dans son organe de presse personnel : édito "Historique !" du 22 avril 2011. Treize pages de fiche-type ratifiée par la commission sus-nommée et placée dans la catégorie "pratiques sportives". 
L'ONCT a donc fait son bonhomme de chemin depuis plus d'un an quand "une cinquantaine de villes du sud et du sud-ouest de la France ont constitué un dossier pour faire entrer la culture taurine au patrimoine culturel de l'UNESCO" et se sont aperçues qu'il fallait commencer petit, par le PCI français. (Voir l'article du Figaro d'alors.)
  • Joli coup ou joli tour ? 
A lire les différents articles traitant du sujet, il semble que l'ONCT, une fois son projet accompli a pris le soin d'annoncer la nouvelle qui s'est répandue comme traînée de poudre à travers les médias. Quid de la communication du ministère de la Culture ? Pas grand-chose à vrai dire, on lit çà et là quelques réactions minimisant la portée de ce recensement : "La tauromachie "a bien été recensée au patrimoine immatériel de la France par une commission ethnologique au sein du ministère de la Culture en janvier", au "même titre que la tarte tatin, le fest-noz, la tapisserie d'Aubusson, les parfumeurs de Grasse", a-t-on indiqué au ministère." (Sur le site lepoint.fr.)
Ou encore : "Pour les autorités, cette inscription au patrimoine français n'implique « aucune forme de protection, de promotion particulière ou de cautionnement moral1 ». Elle ne vise pas non plus « à proposer la tauromachie à l'inscription au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO », mais relève simplement « l'existence factuelle d'une pratique et d'un développement alentour d'un certain nombre d'éléments de nature culturelle ». Elles ajoutent que « la corrida, introduite en France au milieu du XIXe siècle sur la base de traditions taurines plus anciennes, est aujourd'hui présente dans quatre régions du sud où, chaque année, des spectacles sont organisés dans une quarantaine de villes »." (Sur le site de RMC.)

Sur le site du ministère de la Culture, jusqu'ici (mardi 26 avril 23h59)... rien : pas la moindre trace (recherche par mot clé : "tauromachie" ou "corrida", liste des communiqués de presse). On comprend donc, à travers les éléments dont nous disposons (en attendant la réponse éventuelle du ministère à mon courriel) que si une commission ethnologique a inscrit la corrida au PCI, il ne s'agit pas d'une volonté politique de la part des hautes instances de l'Etat. Donc, c'est plutôt un joli tour joué au ministère par l'ONCT !
  • What's next ? 
Comme nous l'avons vu plus haut, le but semble de toucher l'UNESCO (la tatin qui se rêvait Machu Pichu) mais pour ceci, la marche risque d'être un peu plus difficile à franchir puisque d'une procédure ethnologique nous allons passer à une procédure (éminemment) politique puisque la liste sur laquelle sont inscrits les éléments au PCI de l'humanité est établie sur... proposition des Etats parties concernés. 

À suivre...

1 Ce qui va à l'encontre de l'Article 13 : "Autres mesures de sauvegarde" et de l'Article 14 : "Éducation, sensibilisation et renforcement des capacités" de la partie III. "Sauvegarde du patrimoine culturel immatériel à l’échelle nationale" du "Texte de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel" que vous trouverez in extenso ici.
Vous êtes arrivés jusque là ? Une petite vidéo explicative de l'UNESCO pour vous récompenser.