20 février 2006

Pleine de grâce(s)


En 2005, 15 toros de lidia ont été grâciés dans les arènes espagnoles ou françaises (Eauze). Depuis quelques années, les aficionados assistent, souvent avec amertume, a une augmentation du nombre d'indultos, pour la plupart encore anti-réglementaires (indultos en arènes de seconde et troisième catégories sauf pour l'indulto du victorino à Saint-Sébastien).
15 toros sur les milliers qui sont tués chaque temporada, ce n'est pas excessif me direz-vous. Cependant, ce sont les conditions avec lesquelles sont accordés ces grâces qui doivent nous inquiéter.
Le graphique n° 1 est éloquent, 66% des toros indultés proviennent de l'encaste Domecq (et dérivations) ce qui n'étonnera pesonne au regard de l'omniprésence de cette origine dans le fouillis ganadero actuel. Notons également que le palha ('Bandeirito') grâcié à Alicante le 26 juin par Pepín Liria était le fils d'un étalon de Torrealta.
Seul 'Muruoalto' de Victorino sauve la baraque des encastes "minoritaires" (ici Albaserrada). Ces indultos, devenus presque familiers, sont relayés à foison par la presse spécialisée espagnole (6Toros6, Aplausos), les sites Internet d'information taurine et certains programmes de télévision comme "Tercios" qui diffuse chaque dimanche les images de ces "événements" ; avec bien évidemment le minimum d'esprit critique.

Le graphique n° 2 nous révèle encore plus outrageusement la dure réalité. 86% de ces 15 toros n'ont reçu qu'une pique ; certainement d'ailleurs cette monopique assassine, trasera et mesquine qui gâche nos dimanches au soleil.
Ce n'est plus l'ensemble "bravoure + caste + noblesse" qui est primé mais la seule noblesse, parfois "imbécile", sosa. Le cas des vueltas al ruedo est similaire bien-sûr et l'exemple le plus marqaunt reste selon moi cette vuelta donnée à 'Delfín' de García Jiménez en juillet à Mont-de-Marsan.

En 1986, il y a vingt ans, la corrida-concours de Jerez de la frontera était encore une des dates étendards de la saison. Cette année-là, les 6 toros sélectionnés provenaient de ganaderías à forte dominante Domecq : Juan Pedro Domecq, Núñez, Cebada gago, Jandilla, Bohórquez et Osborne. Le toro de Cebada Gago fut grâcié lors de cette corrida.

Il se nommait 'Pregonero' et portait le n° 4. Le type de la casa est évident ; toro profond, bas, légèrement ensillado comme ses cousins de Núñez.
Lidié par Espartaco, il obtint la vie sauve grâce à une partie du public « émue » par sa caste et son allégresse lors du tercio de piques. En relisant la reseña d'"Aplausos" de l’époque, il semble que l’indulto de 'Pregonero' ne fut pas marqué du sceau de l’unanimité.
« Ce secteur du public prit pour extraordinairement brave un toro qui possédait seulement une allégresse exubérante. […] 'Pregonero' chargea les chevaux de loin et avec beaucoup d’entrega mais il ne s’employa pas à fond lors des piques. […] Un toro simplement bon, bien que, et cela est certain, très spectaculaire lors du premier tercio ».
Le journaliste d’Aplausos se dit enfin d’accord avec le jury de cette corrida qui « déclara au travers de porte-voix avoir laissé la vie à 'Pregonero' car une grande partie du public le demandait mais il ne pensait pas que ce toro méritait un tel honneur qui devait être réservé aux vrais toros de bandera. »
Précisons que 'Pregonero' reçut quatre piques (voir photographie où il s'élance pour la quatrième), certes en corrida-concours, moment au cours duquel les piqueros et leurs maestros tentent, parfois, de respecter les règles de la lidia.
Au-delà de la polémique suscitée par cet indulto, relevons tout de même que la critique taurine a nettement changé en vingt ans. En 1986, la bravoure était encore un critère fondamental d'analyse du combat d'un toro. Qu'adviendrait-il aujourd'hui de ce toro ? Quel toro prend aujourd'hui quatre piques, même en corrida-concours ? Qui laisserait surtout l'occasion à un tel animal d'exprimer sa bravoure et sa caste ? Petit à petit, un nouveau toro est apparu, noble, soso, faire-valoir décaféiné d'un triomphalisme écoeurant.

'Pregonero' serait statufié et... 'Montenegro' serait devenu l'omniscience du monde taurin.