"Les avocats n’ont-ils pas commencé par être des enfants ?"
En prenant connaissance il y a quelques semaines du commentaire posté par un lecteur hispanophone, j’ai pu toucher du doigt ce qui m’agitait depuis quelques temps déjà au sujet des rares férias dans le cadre desquelles il nous est encore possible de voir le toro que nous aimons, dans toute son intégrité et sa diversité, et des options prises par les organisateurs de celles-ci.
En résumé, ledit lecteur estimait, entre autres récriminations, que les pupilles de José Escolar Gil combattus le 14 juillet 2008 étaient de peu de poids et souffraient d’un manque alarmant de caste. Je cite, dans le texte : "toros con poco peso, falta de casta alarmante, los toros en esta plaza tienen que ser diferentes y animales con 520 o 530 kilos son impropios de Céret".
Ce n’était pas la première fois que j’avais l’occasion de lire ou d’entendre des propos de ce type. Cela mérite donc que l’on se penche un peu plus sur ce point, et que l’on essaye de répondre clairement à la question suivante : qu’est-ce que les aficionados viennent chercher à Céret, ou ailleurs ? Que les taureaux de Céret soient différents de ceux que l'on peut voir presque partout ailleurs, on le conçoit aisément. Mais en quoi les taureaux de Céret se doivent-ils de se différencier de ceux combattus dans d’autres arènes ? En d'autres termes, qu'est-ce qui doit les différencier ?
L’une des caractéristiques principales des corridas organisées par l’ADAC depuis sa création et leur principal attrait résident dans la place primordiale faite au toro. C’est grâce à elle que de très nombreux aficionados ont pu découvrir, au fil des temporadas, de grands élevages inconnus, des encastes oubliées ou marginalisées, et le goût des combats âpres et authentiques. Comment le nier ? Céret est, avec quelques autres rarissimes plazas (Parentis principalement), la seule à oser prendre des décisions audacieuses, jamais dépourvues d’intérêt, et qui se sont souvent révélées brillantes. Les exemples ne manquent pas, il n’est qu’à faire appel à sa mémoire récente ou aux récits épiques qui nous permettent de la conserver presque intacte.
Nous sommes, je pense, tous d’accord sur ce point. Il reste toutefois à déterminer ce qui fait réellement la force, l’originalité, mais par-dessus tout la légitimité incontestable de ces bastions chers à nos cœurs aficionados. C’est ici, je pense, que les avis divergent. Doit-il s’agir nécessairement d’un toro démesuré, gigantesque, terrorífico - comme disent nos voisins -, sans aucun autre critère ? Un toro aux cornes nécessairement énormes et effilées comme des couteaux ?
C’est la même curiosité qui doit guider nos pas, au campo comme sur le chemin des arènes. Cette curiosité n’a rien à voir, à mon sens, avec la recherche d’exemplaires toujours plus gros, toujours plus énormes qu’ailleurs.
Nul ici, et moi moins que quiconque, n’a la prétention de guider qui que ce soit, ou de détenir une vérité quelconque. Il me paraît toutefois évident que ce qui fait la richesse de ces derniers coins de terre où il est encore possible de voir le toro dans toute sa splendeur et, j’insiste, sa diversité, ce n’est pas dans une présentation nécessairement exagérée ni dans une volonté d’épater la galerie qu’elle réside. C’est dans l’afición a los toros ; celle qui prend un plaisir à la fois intellectuel et purement émotionnel à voir évoluer sur le sable le véritable taureau de combat, pas un toro unique, qui serait nécessairement gros et encorné (ce toro-là n’existe pas), mais un toro varié, savamment et patiemment élevé par des ganaderos amoureux de leur métier et de leur bétail brave.
En résumé, ledit lecteur estimait, entre autres récriminations, que les pupilles de José Escolar Gil combattus le 14 juillet 2008 étaient de peu de poids et souffraient d’un manque alarmant de caste. Je cite, dans le texte : "toros con poco peso, falta de casta alarmante, los toros en esta plaza tienen que ser diferentes y animales con 520 o 530 kilos son impropios de Céret".
Ce n’était pas la première fois que j’avais l’occasion de lire ou d’entendre des propos de ce type. Cela mérite donc que l’on se penche un peu plus sur ce point, et que l’on essaye de répondre clairement à la question suivante : qu’est-ce que les aficionados viennent chercher à Céret, ou ailleurs ? Que les taureaux de Céret soient différents de ceux que l'on peut voir presque partout ailleurs, on le conçoit aisément. Mais en quoi les taureaux de Céret se doivent-ils de se différencier de ceux combattus dans d’autres arènes ? En d'autres termes, qu'est-ce qui doit les différencier ?
L’une des caractéristiques principales des corridas organisées par l’ADAC depuis sa création et leur principal attrait résident dans la place primordiale faite au toro. C’est grâce à elle que de très nombreux aficionados ont pu découvrir, au fil des temporadas, de grands élevages inconnus, des encastes oubliées ou marginalisées, et le goût des combats âpres et authentiques. Comment le nier ? Céret est, avec quelques autres rarissimes plazas (Parentis principalement), la seule à oser prendre des décisions audacieuses, jamais dépourvues d’intérêt, et qui se sont souvent révélées brillantes. Les exemples ne manquent pas, il n’est qu’à faire appel à sa mémoire récente ou aux récits épiques qui nous permettent de la conserver presque intacte.
Nous sommes, je pense, tous d’accord sur ce point. Il reste toutefois à déterminer ce qui fait réellement la force, l’originalité, mais par-dessus tout la légitimité incontestable de ces bastions chers à nos cœurs aficionados. C’est ici, je pense, que les avis divergent. Doit-il s’agir nécessairement d’un toro démesuré, gigantesque, terrorífico - comme disent nos voisins -, sans aucun autre critère ? Un toro aux cornes nécessairement énormes et effilées comme des couteaux ?
C’est la même curiosité qui doit guider nos pas, au campo comme sur le chemin des arènes. Cette curiosité n’a rien à voir, à mon sens, avec la recherche d’exemplaires toujours plus gros, toujours plus énormes qu’ailleurs.
Nul ici, et moi moins que quiconque, n’a la prétention de guider qui que ce soit, ou de détenir une vérité quelconque. Il me paraît toutefois évident que ce qui fait la richesse de ces derniers coins de terre où il est encore possible de voir le toro dans toute sa splendeur et, j’insiste, sa diversité, ce n’est pas dans une présentation nécessairement exagérée ni dans une volonté d’épater la galerie qu’elle réside. C’est dans l’afición a los toros ; celle qui prend un plaisir à la fois intellectuel et purement émotionnel à voir évoluer sur le sable le véritable taureau de combat, pas un toro unique, qui serait nécessairement gros et encorné (ce toro-là n’existe pas), mais un toro varié, savamment et patiemment élevé par des ganaderos amoureux de leur métier et de leur bétail brave.
De la même façon, les aficionados qui se rendent aux arènes doivent accepter le caractère nécessairement aléatoire de la corrida. Elle n'est pas l'opéra. Elle n'est pas le théâtre. Elle n'est pas non plus un concert de musique. Il est donc absolument primordial de se mettre dans la tête que l'on ne sait jamais - et encore moins lorsque l'élevage n'est pas connu - comment vont sortir les toros de l'après-midi. Et pour aller plus loin encore, je pose la question : la quintescence de l'afición a los toros ne réside-t-elle pas, fondamentalement, dans la recherche de cet aléa ? La programmation quasi-exclusive d'"élevages de garantie" (terme ô combien abominable, figurant en bonne place dans le champ lexical de l'épuration de la cabaña brava) me paraît purement et simplement antinomique avec l'idée que je me fais de l'afición. Mais dès lors que l'on partage cette conception des choses, il convient en toute logique d'accepter le risque d'assister à des loupés mémorables. C'est le prix à payer pour découvrir, découvrir encore, découvrir toujours des toros nouveaux, au comportement différent et offrant une nouvelle image du toro. Sans cet acte de foi, les organisateurs ne trouveront jamais l'appui indispensable que doivent recevoir leur idées et leurs recherches.
Il faut à tout prix éviter d’enfermer ces organisateurs, qui ont voulu suivre cette voie si difficile et périlleuse, dans un carcan étroit. Un carcan qui nous ferait passer à côté de tel lot parce que certains spectateurs ne le jugeraient pas suffisamment gros ; ou à côté de tel élevage parce que les produits de celui-ci n’arboreraient pas des cornes suffisamment longues. L’ADAC et l’ADA Parentis privilégient les toros atypiques, qu’il est difficile voire impossible d’admirer ailleurs. Cela leur a permis, avec le temps, de se forger une identité forte qui fait aujourd’hui non seulement leur charme, mais également leur succès ; et non la présentation de phénomènes de foire.
Il faut laisser à ces organisateurs cette liberté de choix. Pour ne pas les condamner à l’excès inverse de celui constaté amèrement dans la plupart des autres arènes. Et au-delà de ceux dont nous pouvons nous montrer reconnaissants qu’ils aient retenu ces options, cela devrait être le souci de tous les organisateurs scrupuleux, selon leurs moyens et en fonction de leurs contraintes, de respecter ces deux principes fondamentaux : l’intégrité et la diversité.
Il faut à tout prix éviter d’enfermer ces organisateurs, qui ont voulu suivre cette voie si difficile et périlleuse, dans un carcan étroit. Un carcan qui nous ferait passer à côté de tel lot parce que certains spectateurs ne le jugeraient pas suffisamment gros ; ou à côté de tel élevage parce que les produits de celui-ci n’arboreraient pas des cornes suffisamment longues. L’ADAC et l’ADA Parentis privilégient les toros atypiques, qu’il est difficile voire impossible d’admirer ailleurs. Cela leur a permis, avec le temps, de se forger une identité forte qui fait aujourd’hui non seulement leur charme, mais également leur succès ; et non la présentation de phénomènes de foire.
Il faut laisser à ces organisateurs cette liberté de choix. Pour ne pas les condamner à l’excès inverse de celui constaté amèrement dans la plupart des autres arènes. Et au-delà de ceux dont nous pouvons nous montrer reconnaissants qu’ils aient retenu ces options, cela devrait être le souci de tous les organisateurs scrupuleux, selon leurs moyens et en fonction de leurs contraintes, de respecter ces deux principes fondamentaux : l’intégrité et la diversité.
Messieurs les organisateurs de l'ADAC, de l'ADA Parentis, de Carcassonne Toros, d'Hagetmau, de Roquefort, de Rieumes, de Beaucaire, de Saint-Martin-de-Crau et d'ailleurs, continuez de nous faire rêver ! Allez donc chercher des Javier Gallego, des Pérez Escudero, des Tabernero de Pinto, des Madrazo, Agustínez et autres Ángel Nieves, ou ce que vous voudrez ! Vous trouverez toujours des aficionados pour vous suivre, tout en acceptant les risques intrinsèques à ces choix.
Laissons à présent le mot de la fin à Luis Fernández Salcedo :
"Bien sabes tu que los toros de don Graciliano suelen ser muy recogiditos de cabezas y bravos como jabatos, con bravura de la buena, de la que a mi me gusta. pues bien, en una corrida de estos últimos años oí decir a un señor, muy enfurecido porque se despedía a un toro con una gran ovación en el arrastre:
- ¡Es el colmo! ¡Aplaudir a un toro brocho!... ¡Señores, que estamos en Madrid!”
"Bien sabes tu que los toros de don Graciliano suelen ser muy recogiditos de cabezas y bravos como jabatos, con bravura de la buena, de la que a mi me gusta. pues bien, en una corrida de estos últimos años oí decir a un señor, muy enfurecido porque se despedía a un toro con una gran ovación en el arrastre:
- ¡Es el colmo! ¡Aplaudir a un toro brocho!... ¡Señores, que estamos en Madrid!”
in Cuentos del viejo mayoral, de Luis Fernández Salcedo, Egartorre (3a edición), p. 121.