01 septembre 2008

Les sucres d'orge génocides


L’orage est arrivé trop tard. Certainement commandé en douce par les fossoyeurs mal encrayonnés de la corrida, il s’est ramené après la bataille, mal renseigné, pas assez payé peut-être ou bloqué dans les insupportables embouteillages de la fin de l’été. Et pendant qu’il cherchait sa route, nous avons vu combattre 6 taureaux de combat. Des toros de Palha, pedigree Baltasar Ibán. En sortant de la course, sous les grosses gouttes chaudes de cet orage d’août commandité par les vrais fossoyeurs de la tauromachie, on cherchait du regard un coin de vérité auquel se rattacher pour avoir un semblant d’explication. C’était quoi cette corrida ?
"– C’est mes yeux ou quoi ?
– Oui, ça doit être vos yeux…"

C’était quoi ? Mais tout simplement une corrida de toros telle que nous devrions en voir plus souvent. Et tout simplement aussi une corrida de toros telle que nous ne devrions pas en voir souvent. Paradoxe ! Les toros de João Folque de Mendoça ont combattu comme des fauves durant deux heures et trois grosses gouttes chaudes. Six exemplaires inégaux de physique mais présentés comme des spartiates en campagne militaire, très armés et surtout, surtout, extrêmement allurés pour certains comme ce sixième qui avait en lui des poses de statue grecque. C’est beau un taureau de combat ! Relevons tout de suite l’immense bémol de cette présentation : l’état des cornes de certains de ces toros. Totalement explosée l’une du premier et clairement très abîmée une autre du second (le cinquième sort avec une astilla). Les Palha sont venus à Bayonne comme les Spartiates marchaient à la guerre. Sans musique aucune. Seulement accompagnés du noir abyssal de leur robe de taureau de combat qui dévorait la lumière. Ils foutaient la trouille… comme les Spartiates… et voulaient se battre… comme les Spartiates.
Les toros de Folque se sont montrés supérieurement combatifs. Puissants au cheval, violents pour certains ( le 6, le 1), brave, fixe et s’améliorant pour le troisième marron, poussant à se tuer (la tête fixe) pour le second en une unique (comme d’habitude en pareil cas, la présidence ne jugea pas nécessaire de voir se confirmer la bravoure de ce toro et changea malheureusement le tiers) pique de quelques minutes, poussée d’arrache-pied de bout en bout.
Face à cette débauche d’envie de combattre, il y eut en tout et pour tout à peu près 10 assassinats publics et volontaires, mention spéciale aux picadors de Diego Urdiales. Des premiers tiers odieux et dégueulasses conduits pas des gonzes mal intentionnés.
Au milieu de la bravoure sauvage et brute perçaient pourtant des signes de mansedumbre et de mauvaises manières. Des grattages de sol, des poussées sur une seule corne tête en haut, des coups de casque à faire du mou de caballo… Bref, un mélange assez surprenant et contradictoire de comportements réunis à l'intérieur de chaque bête ou presque ( le 2 et le 3 sont à exclure).
Après ? Après la peur, c’est encore la peur. C’est Sparte aux portes d’Athènes en 404 avant J.C., la campagne en feu. Aux banderilles, la bande à Folque apprit ce qu’il ne fallait pas, c’est-à-dire les courses vers la querencia, les hésitations et les doutes de cuadrillas dépassées. Et Athènes brûla. Nous ne vîmes pas de troisième tiers car aucun des trois matadors du jour ne sut régler les problèmes de lidia de ces toros de Palha. Reconnaissons-leur évidemment du courage. Pour le reste, Rafaelillo s’est croisé sur deux passes de son premier toro et celui-ci est bien passé. Tiens donc… Diego Urdiales a bien découvert l’étendue de la superficie du ruedo de Bayonne et Sergio Aguilar a rejoué le scénario vicois du hiératisme et de l’héroïsme à tout crin. Ça confine au tragique, les gouttes en éclairage. Mais pourquoi commencer une faena de muleta à un toro bondissant et tête haute par cette cambiada au centre de l’arène ?
En sortant des arènes, un peu plus vieux quand même, l’on se disait qu’il y avait eu "toro" cet après-midi à Bayonne. Eh bien nous avions tort ! C’était écrit le lendemain matin dans Sud Ouest. Les Palha avaient été "mansos" ! Depuis ce dimanche d’août 2008, je voue un culte immodéré à Monsieur Vincent Bourg "Zocato", prix Hemingway 2008 (non, ne pleure pas…), membre du prix Carriquiri de Pamplona, raconteur de belles histoires souvent humoristiques plus ou moins liées au monde des toros. Je lui voue donc ce culte immodéré car il est capable, lui, de catégorier le comportement de ces toros dans la case "manso". Comment fait-il au regard d’une telle course ? Mais je ne perds pas espoir qu’un jour, moi aussi, j’arrive à dire :
- "Ce toro, c’est certain, c’est un manso !"
Monsieur, bravo ! Ecrire comment était cette course et quel était le comportement de ces toros paraît très difficile. Ils étaient braves et mansos à la fois (pour faire large), à ce moment-ci brave et puis à cette seconde-là drapés de mauvaises idées et la seconde d’après ils pouvaient charger droit tout en se retournant vivement et à mi-hauteur l’instant suivant. C’est le style de course passionnante pour celui qui aime voir combattre les toros car elle pose énormément plus de questions qu’elle n’amène de réponses. Elle devrait rendre humble et elle devrait déstabiliser nos évidences. C’est une corrida qui peut faire durer une discussion entre amis pendant des mois et en cela, elle est essentielle à notre afición nourrie de débats et d’échanges. Et qu’en est-il deux jours après la course ? Point de débat mais une unanimité bien préoccupante de la part de ceux qui sont (mal) crédités du terme de presse taurine spécialisée. La corrida a été "innommable" pour M. Viard, "infumable" pour Benjamin Ferret (j’ai hésité à le citer dans la presse taurine spécialisée…), "sans réelle bravoure" pour M. Beuglot (de Toros2000… et mes idées politiques en rab). Zocato, quant à lui, se lâche lourdement en évoquant des "trapío à l’envers" (là j’ai du mal à comprendre) et "inaptes" (et là je ne comprends absolument plus rien). Bref, une belle et franche unanimité de ces encrayonnés de callejón qui ont détesté la course parce qu’elle était composée de… taureaux de combat aux comportements aléatoires comme tout animal un tant soit peu sauvage [Notons au passage que certaines phrases assassines sentent fort le règlement de compte avec l’éleveur/organisateur Folque de Mendoça. C’est pas joli-joli les gars mais finalement, de votre part, peut-on encore s’attendre à mieux ?]. C’est ce mot qui les gêne le plus : SAUVAGE. Et FORT aussi. La sauvagerie et la force, voilà les deux clefs de voûte d’un taureau de combat que ces pauvres gens-là voudraient mettre à mort. Car n’allez pas croire qu’un lot de 6 choses sans pattes vautrées par terre pendant deux heures les choque. Non ! Par contre, 6 fauves solides comme une nourrice allemande, cela les insupporte. Et quand le matador ne trouve pas la solution, ces toros-là deviennent "mansos" et "intoréables". Ce qu’ils veulent, c’est la corrida de sucres d’orge faite d’animaux calibrés, conçus pour qu’enfin il y ait des PASSES et beaucoup de PASSES de préférence. Ils ne pensent qu’à ça et n’attendent que ça… du coup ils ne regardent plus ni le premier tiers, ni le second. Et leur raisonnement va plus loin qu’un simple goût personnel. Ils veulent mettre fin à la corrida telle que Bayonne l’a vécue samedi. Je cite M. Viard : "Or, le spectacle a évolué, et la question que l’on peut légitimement se poser est celle de savoir si des toros de ce genre ont toujours leur place dans le nôtre." Remarquez, ce genre d’aberration intolérante n’est finalement pas si étonnante que cela. Modeler la pensée de l’afición vers quelque chose de politiquement correct, de soft, sans violence ni aléas permet de mieux vendre un spectacle si particulier, y compris à ceux que l’on passe son temps à montrer comme le grand danger de la corrida : les anti-taurins. Tout paraît tenir debout dans ce raisonnement tarabiscoté, petit bras et au final intenable. Et pour le rendre encore plus digeste auprès des "antis" et du grand public, on préfère tenter de diviser les aficionados en essayant de marginaliser ceux qu’ils nomment la "frange dure", "les ayatollahs", etc. C’est-à-dire les derniers gardiens d’un temple qui se meurt. Alors, si rencontrer ce genre de propos dans la prose de M. Viard n’est pas si étonnant que cela, cela n’excuse pas cette phrase odieuse et sentencieuse. En voulant en finir avec le toro fort, avec certains élevages encore existant (Dolores Aguirre, Palha, Zaballos, Raso de Portillo…), ces Messieurs Bourg, Viard et consorts ne montrent là finalement que leur vrai visage : ceux de fossoyeurs de l’afición et de la corrida diverse, variée, émouvante, prenante, sauvage et finalement belle.
Samedi, l'orage commandé par eux est arrivé trop tard...

Retrouvez la galerie de cette corrida dans la rubrique RUEDOS du site.

Photographies Le sixième Palha, Bayonne 30 août 2008 © Camposyruedos