Comment ne pas réagir à l'article de Laurent dans lequel il s’offusque du fait qu’une partie de la critique taurine, le président de l’OCT en tête, puisse ouvertement avancer que des toros comme ceux élevés par le sieur João Folque de Mendoça n’ont plus leur place dans les ruedos de notre siècle actuel ? Comment ne pas se pincer, une fois de plus, après avoir lu, il y a peu, que d'autres toros, pourtant plus civilisés, avaient exprimé "trop de caste" (sic) ?
Ce n’est certes pas annoncé de façon aussi péremptoire, mais évidemment, dans ce cas, le simple fait de poser la question induit logiquement la réponse. "Le spectacle a évolué, et la question que l’on peut légitimement se poser est celle de savoir si des toros de ce genre ont toujours leur place dans le nôtre."
Ben voyons. Par contre, le toro monopiqué à la limite de l’invalidité ne soulève, lui, pas la moindre petite interrogation.
Le message a au moins le mérite de la clarté et ne porte plus à confusion. Nous en faisons quoi alors de ces Portugais ? On les suicide ? On les extermine ? Ou alors ne sont-il bons que pour finir empaillés dans des musées, avec les restes d’une culture en déshérence ?
Nos lecteurs savent bien que nous n’avons pas été tendres avec l’éleveur portugais lorsque l’affaire de ses toros aux armures manipulées avait agité le petit microcosme de l’afición française. Alors, au risque de me répéter, nous n’en sommes que plus à l’aise aujourd’hui pour défendre sa conception de l’élevage et ses toros. Il est vrai qu’aucun intérêt économique, professionnel ou commercial ne nous oppose, nous, à Monsieur Folque de Mendoça.
Comme l’avait écrit un jour André-Marc Dubos, les ayatollahs ne sont pas toujours ceux à qui l’on pense, ou ceux que certains veulent bien désigner ainsi, par facilité, convenance ou intérêt. Prenez par exemple le cas de notre site. J’ignore si nous avons été, en d’autres lieux, classés, rangés, étiquetés dans une quelconque des catégories suivantes : ayatollahs, talibans, martyrs d’Al-Aqsa, ou frange de Dieu sait quoi. Peu importe.
Mais puisque nous goûtons ici la sauvagerie et la puissance (oui, la puissance, la force quoi) des toros du señor João Folque de Mendoça, classons-nous arbitrairement quelques instants dans une des catégories susvisées. Je laisse à votre convenance le choix de celle dans laquelle vous allez nous enfermer le temps de cet article.
Et alors ? Est-ce que le fait d’apprécier la puissance et la sauvagerie des Palha devrait à l’inverse nous empêcher de goûter par ailleurs, et pêle-mêle, José Tomás, mon cher Manzanita, la féria de Bezouce, César Rincón, mais aussi Cenicientos, Vic, et tout le reste ?
Ne peut-on pas apprécier le Fundi si l’on aime également Morante ? Faut-il absolument s’inscrire dans le moule bien formaté d’une certaine pensée unique taurine que l’on tente de nous imposer ?
N’y a-t-il qu’un seul et unique toro idéal qui ne pourra être qu'une sorte de mièvre compromis ?
Non, Car la Fiesta est diverse et variée ; en tout cas elle devrait l’être. Ce qui ne veut pas dire non plus que nous avalons tout et sommes prêts à tout gober.
Plusieurs penseurs de l’afición se permettent donc d'avancer que certains toros n’ont plus leur place dans nos ruedos, qu’ils sont indésirables, qu’il faut donc en finir avec leur existence même. Même pas à Vic messieurs ? Même pas à Céret ? Allons donc ! Nous nous doutions bien qu’ils le pensaient, mais jusqu’à présent ils avaient eu la pudeur de ne point l’écrire. Voilà qui est fait. Avis à la population ! Les toros de Palha sont aujourd’hui indésirables dans nos ruedos contemporains ! Tout cela est pitoyable. La diversité de la Fiesta, ils ne la supportent plus.
Nous aurons beau jeu ensuite de nous réclamer d’une culture ancestrale et aller expliquer aux antis que l’interdiction de la Fiesta entraînerait la disparition de la race du taureau de combat alors que, depuis l’intérieur, certains y travaillent ouvertement à cette disparation, fut-elle partielle.
Après le corridón lusitanien de la San Isidro, après la novillada du Raso de Portillo de Parentis, c’est au tour de la corrida de Palha de Bayonne de s’attirer les foudres d’une partie du mundillo. Ne généralisons pas non plus.
Les choses sont hélas claires. Ces trois courses avaient trois points communs : la force, la puissance et la sauvagerie. Et de cela certains ne veulent plus. Ils l’écrivent aujourd’hui ouvertement. A Camposyruedos nous trouvons la chose désolante même si cela n’a rien de surprenant. Il s’agit, ni plus, ni moins, que de s’inscrire dans un processus général d'« épuration ethnique » du campo bravo dont les origines remontent à une époque déjà ancienne et dont certains encastes ont déjà fait les frais.
Adolfo Rodríguez Montesinos, vétérinaire, éleveur de toros de Santa Coloma et actuel patron de la section taurine de Radio Nacional de España écrivait ceci dans l’introduction de son ouvrage El toro de Santa Coloma : « Les éleveurs ont dû renoncer à sélectionner le toro qui leur convenait et, en lieu et place, il ne leur est plus resté que la possibilité de servir les intérêts des torero. [...] Ils (les toreros) ont alors exercé une pression toujours plus forte sur les éleveurs pour éradiquer ou limiter à leur plus petit dénominateur commun la bravoure, la caste et par-dessus tout l’agressivité du bétail. [...] De façon drastique, les figuras du toreo et leurs mentors ont appliqué leur propre "épuration ethnique" en excluant des arènes et des carteles les plus relevés ces élevages qui ne rentrent pas dans le rang de leurs exigences. »
Vous avez évidemment noté que les toros de Palha ne sont pourtant pas destinés aux figuras. Il semble donc acquis, dans la corrida actuelle, que même les « seconds couteaux » devraient désormais se voir épargner ce genre de course. C’est le panorama taurin tout entier que ces gens prétendent aujourd’hui réduire à la peau de chagrin d’une morne et triste homogénéité, privée de toute diversité. La Fiesta mérite pourtant mieux qu’un insipide et ennuyeux « équilibre acceptable ».