01 septembre 2008

Le grand voyage


Pendant au moins 180 jours, probablement 200, peut-être bien davantage, sa puissante silhouette a hanté le labyrinthe de brique, de bois, de tôle et d’acier des corrals de Las Ventas. L’an passé, en pleine Feria de Otoño, des habitués de l’apartado se souvenaient l’avoir déjà aperçue... En ce temps-là, la bascule affichait 573 kilos et personne ne le regardait encore comme une bête curieuse. Une semaine plus tard, il faisait équipe avec un vieux menacé par la limite d’âge et franchissaient ensemble le col de San Lorenzo — ils venaient de laisser 'Ilustrado' sur le bord du chemin... La temporada achevée, lorsque l’ennui menaçait, il racontait à son frère núñez des histoires de campo partagées dans les environs de Medina Sidonia. Quand les premiers frimas de l’hiver castillan les enveloppèrent tous, ils se tinrent chaud.

Au retour du printemps et des beaux saints-martins, il avait cinq ans, il était toujours aussi long. Pour la San Isidro, tantôt premier, tantôt second, il fut le fidèle et sérieux compagnon de route des "modestes". Les autres, ceux qui triomphent sans peine, ne voulurent pas le voir, l’ignorèrent. Bien planté et armé, il semble n'avoir jamais dépareillé la fragile homogénéité des lots les mieux présentés. C’est ainsi qu’il apparut sur les fiches sorteo du début et de la toute fin de mai, et que l’on ne le vit point à l’entame de juin. Son numéro 38, ses yeux noirs et humides, sa peau de tigre, les cabestros de Florito les croisèrent souvent. Et cela les rassurait.

Au cœur de l’été, le 24 août dernier, l’aiguille tutoyait désormais la barre des six quintaux. Au pied levé, et parce que le quatrième La Cova traînait la patte, il finit par poser les sabots sur le sable de la Monumental madrilène en combattant sans honte ni gloire devant à peine un quart d’arène. L’épée libératrice du matador navarrais Francisco Marco le transperça après deux avis, et les mules venteñas l’emportèrent sous une chape de silence trouée par d’ignorants et malheureux pitos — digne paraphe d’un singulier voyage ?

Depuis, 'Reganchado' — son frère —, 'Aperador', 'Campañazo' et 'Bananero' le cherchent. Il portait le fer de María del Carmen Camacho et s’appelait 'Oreganer'.

Image En exclusivité pour Camposyruedos, 'Oreganer' dans les corrals de Las Ventas lors de son ultime enchiqueramiento... © Manon. Merci à toi.