21 septembre 2008

Cornada pour Viallat


S’imposer une petite séance de rangement un samedi après-midi peut parfois avoir du bon. Vous êtes tranquillement installé dans votre fauteuil et vous regardez, perplexe, la pile poussiéreuse de magazines et de journaux posée en équilibre instable au pied du canapé. Ça ? Vous jetez. Et ça ? Aussi. Ça ? Non, ça vous gardez.
Vous l’avez cherchée quelquefois — sans trop y croire à la longue —, vous vous êtes demandé souvent où elle avait bien pu passer et vous venez, comme par enchantement en cette tarde d'été finissant, de remettre fortuitement la main sur... une chronique d’Olivier Cena paru dans un vieux Télérama — Télérama sans la chronique de Cena ne serait pas Télérama, et vous ne l’achèteriez pas.
Quand j’appris au printemps dernier que Nîmes avait choisi de célébrer "son" Claude Viallat (Nîmes 1936), en lui confiant notamment la réalisation de l’affiche de sa temporada, je m’étais (re)mis fébrilement en quête de ce précieux papier qui émettait de salutaires réserves sur la démarche picturale du Nîmois, et jouait (déjà) l’arlésienne...
Voulant voir dans cette découverte inespérée faite en pleine feria un signe, et parce qu’il n’est jamais trop tard, je m’empresse de la partager en l'allégeant — ce dont vous ne me tiendrez pas rigueur — de quelques lignes sur... Takashi Murakami !

« La chronique d’Olivier Cena
Gris d’angoisse
Au fil des ans, le support a légèrement évolué : les bâches, simples surfaces de toile brute, sont maintenant des morceaux de tentes militaires avec leurs sangles et leurs petites fenêtres fermées. La présentation aussi a changé : la bâche a fait place à des toiles superposées. Mais le motif demeure identique depuis quarante ans : des empreintes colorées en forme de haricot. Claude Viallat, qui fête cette année ses 70 ans, reste pionnier de la théorie qui fut à l’origine du mouvement Support/Surface, dont il fut l’un des créateurs au milieu des années 60, théorie fondée sur la répétition de motifs simples sur un matériau libéré du cadre et du châssis. Seules demeurent les variations de couleurs et leurs harmonies, ce que Claude Viallat maîtrise parfaitement. Mais au-delà de cet aspect technique, quel est le désir du peintre ? Que veut-il nous transmettre ? En 1979, Francis Bacon confiait à David Sylvester (1) que « la seule chose qui me fasse avancer, c’est le désir de travailler — de travailler sans but... Si vous n’avez pas de sentiments religieux ou quelque chose de ce genre, comment ne pas penser que la vie est totalement futile — et c’est encore plus patent avec l’âge, parce qu’on a perdu les plaisirs de la jeunesse. Ce qui est flagrant, bien que je sache que cela ne veut rien dire, c’est que j’aime travailler, j’aime la possibilité d’invention, de faire advenir quelque chose. Non que je pense que cela ait quelque valeur que ce soit, mais parce que cela m’excite ».
Que peut-il advenir dans l’œuvre de Claude Viallat que l’artiste ne sache pas depuis longtemps déjà ? Le résultat — la mutiplication d’un motif géométrique en forme de haricot — est à la fois chatoyant, plaisant, prévisible et ennuyeux — c’est-à-dire décoratif. Et le peintre, répétant le même geste depuis quarante ans, semble avoir perdu l’excitation de faire, ce plaisir de travailler sans but dont parle Bacon. Il illustre. Il s’illustre lui-même. [...]
Le peintre d’origine serbe Vladimir Velickovic, d’un an plus âgé que Claude Viallat, ne cesse de préciser sa vision du monde. Il aurait pu se contenter de décliner les œuvres du début des années 70, inspirées par les photographies de Muybridge, qui assirent sa réputation, mais le devenir du monde l’inquiète et la peinture l’excite toujours. La folie et la violence des hommes l’effraient et le poussent à chercher d’autres images expiatoires : hommes crucifiés et terres désolées en feu où ne vivent plus que des corbeaux. Les regarder pourrait être insoutenable s’il n’y avait la beauté de la lumière sépulcrale, l’élégance du geste et du trait, la somptuosité des gris, que sais-je encore ? le grand talent d’un peintre qui jamais ne renonce.
(1) Francis Bacon à nouveau, éd. André Dimanche. » Télérama - Décembre 2006

« Chatoyant, plaisant, prévisible et ennuyeux — c’est-à-dire décoratif » : en voilà des mots bien choisis pour qualifier le "spectacle strass et paillettes" voulu, défendu et vendu par "Nîchmes" (cherchez pas !)...

En plus
— Un lien « chatoyant » sur la prochaine exposition de Claude Viallat à Clermont-Ferrand, du 20 octobre prochain au 15 janvier 2009 ;
— Un autre somptueusement « sépulcral » sur une exposition passée de Vladimir Velickovic à Anglet en décembre 2006/janvier 2007. Celle-là même qu’Olivier Cena annonçait au bas de sa chronique ;
— Et tant qu'on y est, l'enseignant et architecte Luc Baboulet dressa, dans la revue Vacarme (n°19, printemps-été 2002), un "portrait critique" fort instructif du célébrissime Jean Nouvel, affichiste plus que poussif du solo de SB.

Image
Olivier Cena faisant référence à la « multiplication d’un motif » (Viallat), ainsi qu'à Eadweard Muybridge (Velickovic)... Ici, la séquence photographiée du galop d’un bison © Wikipédia