17 juin 2011

Comme le chai de mon grand-père


A "los de Broussez", et les quelques 70 autres qui ont chanté... en gascon et en castillan.

Partout autour, il y a cette odeur de bon pain tout juste sorti du four. Les collines, les bosquets et les baraques à pigeonniers, le vieux bois, la vieille pierre, la terre et le cuir, et puis au fond, la vieille grange pleine de foin et le soleil par dessus, qui pèse méchamment. Ici, c'est la Gascogne, avec l'accent qui roule comme un maillet sur le quillet, le bras épais et l'idée tranchée. Ici, c'est Vic, juste Vic, simplement Vic, et tout est dit.

Ici, pour peu qu'on y débusque une paire de zozos accoudés à un zinc et qui auraient eu la mauvaise idée d'être des copains que vous n'avez pas vus depuis un an, alors, ça peut être une façon d'être heureux aussi car, ici, à Vic, chaque année, depuis mille ans, le dimanche à midi, on chante en gascon et en castillan le bonheur de nos retrouvailles.
Un fond de rouge sur une tranche de cochon noir de Bigorre, trois conneries à raconter, toujours, et si en plus vous aimez les toros, vous y serez un homme heureux.

Et puis voilà, les années passent et les hommes trépassent. La fête reste belle, c'est sûr, et l'armagnac puissamment doucereux, vrai de vrai, le Gers, terre de traditions, pour sûr, milediou !, mais cette fois-ci il a manqué du monde, et un peu quelque chose, aussi. Et nous l'avons tous bien compris. Oh, bien sûr, les nuits des juins gascons ont toujours ce parfum rustique et enchanteur où l'on raconte les Braves d'hier et de demain, mais quelque chose n'a pas brûlé, et peut-être ne brûlera plus, je le sais désormais. Pas parce que demain ne sera jamais hier, mais parce que les durs d'autrefois n'ont plus envie de taper fort sur la table, et qu'ils rêveraient peut-être un peu à d'autres délices auxquels on ne les a jamais trop conviés jusque-là. Pas faux, et même que ça ne m'étonnerait pas. Les solides gaillards d'avant ne se défendent plus de frisés coups de gueule qu'on ne voyait qu'ici ; ils préfèrent finalement ces silences nouveaux et cette politesse à outrance qu'on ne leur connaissait pas. Si ça se trouve, le vin râpeux les fait tousser, maintenant. Eux, les Vicois ! Pire, je crains qu'ils ne comprennent plus rien au spectacle. Il a manqué quelque chose, c'est sûr, ce quelque chose qui n'a pas brûlé et qui ne brûlera peut-être plus... un peu comme le "chai de mon grand-père". Les années passent et les hommes trépassent. Avec eux, le temps du savoir, du savoir-faire, de l'audace, des grosses gueulantes et des fraternités indispensables pour tenir le trois-mâts dans la tempête. Un seul être vous manque, et puis voilà...
Du coup, les vessies, les lanternes, les faux braves, les mandrins, les malins, les coquins, les tricheurs, les maladroits, les mauvais viseurs, les tristounes et les simplement gentillets, jusqu'aux rasés de près à l'écoeurement, les malvenus, les trop gros, les trop petits, les mal baisés, les mal branlés, et même les hommes en noir de la « Securitate » se sont invités. Tous étaient là, si nombreux ! Trop. Tant pis.
Nous autres, on s'est séparés, tous frères, en se promettant une année prochaine, et l'on s'y retrouvera en frères, c'est sûr, comme depuis mille ans, pour le bon rouge languedocien, le cochon noir de Bigorre et les copains de Cerbère à Biriatou. Mais le bonheur des retrouvailles, que l'on chantait en gascon et en castillan, suffira-t-il encore l'année d'après, et celle d'encore après, et toutes les autres aussi, si les VRAIS toros de Vic et de son peuple de RUDES gueulards n'étaient pas de retour bientôt ? Je veux dire très bientôt, en fait...