Tout a commencé par un détour du côté du forum La Bronca sur lequel le pertinent bob El Nuevo, suite à un passage par le non moins pertinent « OBNI »1 Sol y Moscas, pose à ses collègues bronquistes et pas tristes une devinette agrémentée d’un sondage... Bzzz ! je file illico au pays du soleil et des mouches, je trouve la réponse (Ruiz Miguel) mais je reste collé au papier : Puyazo trasero. Plus exactement à cette image graphiquement magnifique et ainsi légendée : « En lisant les textes de Torear sur la suerte de varas, m’est venu à l’esprit cette acte de protestation d’un graffiteur madrilène contre la systématisation de la pique en arrière. »
La pique en arrière, le puyazo trasero, accepterait au moins deux sens — je n’en vois guère d’autres. Le premier renvoie à un type de pique, au même titre que la pique dans la croix, la pique tombée, la pique dans l’épaule, la pique en arrière et tombée ou la pique dans le morrillo. Le second englobe toutes les piques qui ne sont pas portées là où elles devraient l’être, à savoir dans le morrillo. Ce post n’ayant nullement l’intention d’inventorier tous les types de pique précédemment cités et leurs effets, nous nous contenterons de la première acception enrichie de sa cousine éloignée (du morrillo bien sûr) : la pique dans la croix.
Et pourquoi donc s’intéresser uniquement à la pique dans la croix et à la pique en arrière ? Pour la simple et bonne raison que deux vétérinaires espagnols, Luis F. Barona Hernández et Antonio E. Cuesta López, ont montré et pu vérifier, lors d’une étude biométrique très fouillée réalisée à partir de données collectées en 1996 et 19972, que ces piques se disputaient haut la main les deux premières marches du podium...
Toutes les citations qui vont suivre sont tirées de cette étude dont les résultats et les conclusions furent publiés dans leur remarquable livre Suerte de vara édité en 1999 par la Diputación de Valencia.
Les piques dans la croix et les piques en arrière représenteraient à elles deux entre 70 et plus de 80 % des piques recensées ! Avant de mieux les définir afin de mieux les identifier, parlons chiffres... Des chiffres suffisamment éloquents pour que l’on y regarde d’un peu plus près et qui, malgré le temps qui passe, sont à n’en pas douter toujours et malheureusement d’actualité...
Environ 70 % des premières piques se partagent entre celles dans la croix (37 %) et celles en arrière (33 %), contre 74 % env. pour les secondes (41 % dans la croix et 33 % en arrière) et près de 82 % pour les (rares) troisièmes (43 % dans la croix et 39 % en arrière). À titre de comparaison, sur l’ensemble de la période étudiée, pour chacun des types de pique, en s’intéressant aux deux piques obligatoires et à l’incertaine troisième, les auteurs communiquent les pourcentages suivants :
- Dans le morrillo : 6,3 % environ ;
- Dans la croix : 40,4 % ;
- Tombée : 11,2 % ;
- Dans l’épaule : 7,1 % et
- En arrière : 34,8 %.
Pour information, ils nous rappellent également que la profondeur des lésions, provoquées entre autres par l’action conjointe du picador et de sa pique (dont la partie pénétrante « pyramide + cordes » mesure 8,7 cm environ), de la poussée du toro tout en tenant compte « de l’élasticité des tissus et de la contraction des muscles au moment de la rencontre »3, oscille en moyenne entre 24,7 cm pour la pique dans la croix et 25,9 cm pour la pique tombée (24,8 cm de moyenne pour l’ensemble des types de pique), soit quasiment trois fois la partie pénétrante de la pique !
Cela étant dit, revenons à nos deux piques motivant ce post — qui s’annonce finalement bien plus long que prévu...
« Pique dans la croix : ce type de pique est localisé à la réunion de la ligne du dos et de l’aire imaginaire qui unit les extrémités thoraciques (lieu indiqué pour l’estocade) dénommée région de la croix. Les muscles les plus importants de la tête ne s’y trouvent pas, au contraire de la musculature du dos et des membres antérieurs ou thoraciques. [...] Actuellement, ce type de pique est malheureusement le plus fréquent. [...] Une pique dans la croix ne parvient pas à « canaliser » les charges ni le coup de corne du toro en vue des étapes successives du combat ; en revanche, des claudications peuvent survenir [et], même si la zone atteinte ne constitue pas une région vitale pour le toro, nous considérons qu’elle l’est pour le bon développement de sa locomotion tout au long de la lidia.
Pique en arrière : ce sont les piques situées dans la région du dos. Leur action est néfaste, car elles lésionnent seulement les muscles se rattachant au rachis et peuvent même, plus en profondeur, endommager les côtes. La pique en arrière est inadéquate pour le toro : elle ne régularise pas son coup de corne ni n’affaiblit sa poussée tandis qu’elle rend difficile sa locomotion. De même, la force de la corne développée dans la poussée restant confinée dans le caparaçon et le cheval, son effet est irrégulier et incertain.
Après quoi je vous livre l’épilogue de leur étude.
Conclusions :
1/ Les piques les plus adéquates, sur les plans anatomique et fonctionnel, sont celles placées dans le morrillo4. L’étude montre que ce type de pique est la moins fréquente (6,3 %).
2/ Les piques qui détériorent le plus la locomotion, par ordre d’importance, sont : celles portées dans l’épaule, celles tombées et celles dans la croix.
3/ Les piques en arrière (Note CyR : ici synonymes de piques dans le dos) portent préjudice aux conditions physiques de l’animal avec pour conséquences l’évidente douleur de la région dorso-lombaire et la diminution de l’allant du toro.
4/ Il conviendrait de déterminer législativement que la zone correcte de l’implantation de la pique est le morrillo.
5/ Nous interprétons que l’abus constaté durant l’exécution de la suerte de vara doit être considéré comme une fraude du picador et du matador ; du premier pour l’exécuter et du second pour le permettre, voire pour le solliciter, l’exiger, et ce toujours, clairement, au détriment du toro et de sa lidia.
6/ Nous considérons que l’actuelle portion pénétrante de la pique doit être diminuée afin que les lésions produites, qui, comme nous l’avons vérifié, atteignent dans de nombreux cas une longueur trois fois supérieure à sa taille, fussent beaucoup moins nuisibles tout en permettant un meilleur dosage de la pique. » Luis F. Barona Hernández & Antonio E. Cuesta López
Pour paraphraser Sol y Moscas, « en lisant l’étude de Barona Hernández et de Cuesta López sur la suerte de vara, m’est venu à l’esprit que le tercio de varas était un système imbriqué dans un autre système, la corrida, elle-même système dépendant d’un autre... » Et la tête a commencé à me tourner ; je suis parti au lit avec une de ces gueules de bois, je ne vous raconte pas. Agir sur la seule composante toro ne suffit pas. Agir sur le règlement et lui seul ne suffit pas. Agir exclusivement sur le dessin de la pique ne suffit pas. Agir en brandissant la sanction ne suffit pas. Agir en agitant la carotte de l’intéressement non plus. Agir sur, et cetera.
Régénérer le premier tiers ? Je ne peux m’empêcher de penser à la fumisterie intellectuelle des gesticulations récentes et actuelles autour de la pique andalouse entretenue par certains ; tout comme je ne peux m’empêcher d’avoir en tête la belle utopie (sans lendemain ?) du Décalogue5 portée par d’autres. Il sort un animal sans race et vous assistez à un ersatz de tercio de varas — ou le premier tiers devenu un « mal nécessaire ». Au contraire, déboule du toril le toro-toro et tout est bon pour dézinguer l’ennemi d’une Fiesta qu’ils ne veulent pas voir. Dans ces deux cas extrêmes, les mêmes piques absurdes car inefficaces et déloyales ; au mieux, l’animal sans race résistera après la première pique tandis que le toro-toro le fera en sortant de la troisième ou de la quatrième... Est-ce suffisant pour tolérer, fermer les yeux sur le dessin inique de la pique, ses emplacements inconséquents et son « maniement suspect » quand on lit que les vétérinaires ont, par exemple, relevé jusqu’à 5 trajectoires différentes pour une même pique !?
Les piques en arrière — ici toutes celles n’atteignant pas le morrillo — ont de beaux jours devant elles, a fortiori si la pique andalouse venait à s’installer durablement dans le paysage taurin en ayant été « vendue » comme... moins destructrice ! Il y avait des piques en arrière avant, il y en a aujourd’hui et il y en aura demain, quel que soit le bétail proposé, qu’il fusse de Zalduendo ou de Dolores Aguirre. Question de « bon sens », sans doute, pour les matadors qui ont vite compris qu’avec la pique en arrière (et longue parce que carioquée), ils allaient sacrément augmenter leurs chances de pouvoir mettre en place leurs faenas chorégraphiées qui plaisent tant aux publics... Question de « survie », sans doute, pour les picadors qui ont vite compris qu’avec la pique en arrière (et longue parce que carioquée), ils allaient sacrément augmenter leurs chances de ne pas mordre la poussière a las seis de la tarde... Et puis entre nous, franchement, si les piques en arrière étaient si nocives pour des toros que nous verrions dès lors tomber comme des mouches à longueur de corridas, cela ferait un bail qu’une frange d’aficionados — pas aussi restreinte que nous pourrions l’imaginer car non exclusivement composée de « prototauromaches » goyesques — aurait mis le feu aux arènes, non ? Piouuu ! on se calme...
Quand, en compagnie de Solysombra, l’éleveur Hubert Yonnet se remémore avec émotion le souvenir de son 'Montenegro' et des six (ou 7) piques qu’il reçut en précisant, en martelant que dis-je, qu’il s’agissait de « six vraies piques... fortes » ; à quel genre de piques croyez-vous qu’il fait allusion ? À moins d’un incroyable mirage taurin (ou miracle saint-severin), vraisemblablement aux piques « absurdes car inefficaces et déloyales » évoquées plus haut, mais qui n’empêchèrent pas ‘Montenegro’, parce que novillo puissant, brave et encasté, de ferrailler sous le fer en se grandissant. « Se grandir sous le fer » suppose bien évidemment plusieurs rencontres (3, 4, ... 7 ?), en commençant par une indispensable brève première se poursuivant par une seconde guère plus longue, toutes dépourvues, cela va sans dire, de la lamentable carioca. Du coup, les piques seraient toujours en partie absurdes car inefficaces, mais elles auraient perdu une grosse part de leur caractère déloyal...
Et si c’était cela dans le fond et au-delà de tout le reste — agressivité du bétail et emplacement du fer compris — la véritable plaie du premier tiers : la systématisation de la carioca ? Une carioca — née avec l’apparition de ce fichu peto6, faut-il le rappeler — sous laquelle on endort à peu de frais l’animal sans race, mais grâce à laquelle on s’acharne à prolonger la rencontre en emprisonnant honteusement l’impétueux toro-toro pourtant porteur de si belles émotions, de si justes et retentissants succès qui font l’histoire du toreo...
Voilà pourquoi, personnellement — et histoire d’aller au bout de leur propre logique, aussi paradoxale que navrante quand on y réfléchit —, je ne verrais pas d’un mauvais œil des courses de toros dans lesquelles officieraient certes les mêmes acteurs qu’aujourd’hui, mais à la différence près que les matadors se chargeraient des réceptions, des mises en suerte, des quites, de la mise à mort — si le toro n’a pas été tué avant — et C’EST TOUT ! Basta la faena de muleta ! puisque ces piques absurdes ne peuvent s’entendre ni se justifier que sans elle, étant donné qu’elles n’ont strictement aucune vocation à y amener la bête dans de bonnes conditions7.
Vous verrez, on ne pinaillerait plus sur le tercio de varas, nos pauvres têtes s’en trouvant soulagées. Et vu les redoutables clients que « les picadors ces héros » se coltineraient, les piques tomberaient là où elles tomberaient, de cariocas il n’y aurait car... Bim-bada-boum ! BATACAZO ! Croyez-moi si vous voulez mais à ce stade de l’évolution du combat, on ne chercherait plus à traquer la part d’absurdité du système, la question de l’efficacité demeurerait sans réponse du fait même de son incongruité ; quant à la loyauté, l’invoquer, pour qualifier ce rite païen à l’esthétique puissante et sauvage élevé à la gloire de l’homme et du toro-toro, serait pur non sens... À mon avis...
1 Un « Objet Blogosphérique Non Identifié », oui, ça existe !
2 En 1996 : 13 corridas à Séville, 8 à Madrid et 6 à Cordoue (162 toros). En 1997 : 11 corridas à Séville et 8 à Cordoue (115 toros). 2 personnes mobilisées pour chacune des courses : une dans le callejón (localisation de la pique et effets immédiats), une autre dans le desolladero (localisation et profondeur des lésions en cm à l’aide d’un « T » métallique gradué de 0 à... 30 cm !). Photographies, prises de notes, mesures, etc.
3 Marc Roumengou dans À propos de piques et de butoirs (04.07.2008).
4 Voir le libellé Morrillo dans la liste à gauche.
5 Decálogo de la suerte de varas.
6 Que l’on se rassure, l’abolition du caparaçon n’est pas à l’ordre du jour... Excusez ma naïveté, mais en quoi le caparaçon devrait « nécessairement » induire, pêle-mêle, des chevaux massifs, la carioca, des picadors qui pompent, vrillent, rectifient, attendent que le toro vienne se fracasser sur leur mur au lieu de lui présenter de ¾ face le poitrail du cheval en tentant de piquer avant contact ?
7 On concèdera aux inconditionnels, et ce dans un élan de grande générosité, que le morceau de flanelle puisse, à la rigueur, servir à une paire de doblones suivie d’une série de trois ou quatre valeureuses naturelles paraphées de leur pecho dominateur au centre du ruedo, voire même d’un improbable abaniqueo muy torero préparant l’ultime clou de la course : donner la sortie au toro au moment de lui porter le glaive.
Images Montage ou pas ? « Acte » anti-taurin ou faut-il croire Solymoscas ?... © Sol y Moscas ● Une pique dans la croix ● une pique en arrière — appréciez l’allure générale du cavalier et de sa monture — à deux rasos « saboteurs » de la Fiesta, Parentis 2008 ● Un batacazo — une sorte d’« attentat » pour le mundillo — perpétré à Pâques 2008 par un miura arlésien et « terroriste » © Camposyruedos