Dans la première partie, une vue large nous a permis de vérifier que la caste Vistahermosa est la seule des six castes fondamentales à persister (99,4 %) et de constater au sein de celle-ci l’ultradomination de l’encaste Parladé (80 %*). Affinons à présent l’analyse au niveau des encastes modernes.
Les chiffres révèlent que les 8 274 toros lidiés au cours des cinq dernières années dans les arènes de première catégorie appartiennent à vingt-trois encastes distincts.
En reprenant le schéma défini au chapitre I, la distribution des encastes est la suivante :
· Parladé (80 %*) : neuf encastes
· Vistahermos influence parladeña (13 %*) : six encastes
· Autres (7 %) : huit encastes
En se livrant à une réflexion triviale de proportionnalité, on s’aperçoit que la rame Parladé, forte de son importance numérique, et bien qu’elle soit répartie en neuf encastes, est très peu diversifiée. Une répartition plus équilibrée devrait en effet, en théorie, lui donner deux fois plus de composantes.
En comparaison, le Vistahermosa à influence parladeña est correctement proportionné tandis que les autres encastes sont extrêmement diversifiés, comme on peut s’y attendre pour une catégorie « Autres ».
Nous retiendrons donc de cette ébauche l’image d’une rame Parladé taillée en portions larges, contrastant avec le reste des encastes, qui s’apparente à l’empilement de couches extra-fines.
Poursuivons pour affiner la représentation des portions : les encastes.
A supposer que le monde de l’élevage brave soit idéalement diversifié, chaque encaste devrait représenter 4 % de l’ensemble. Pure utopie, je vous l’accorde, mais ce chiffre a le mérite de donner une référence.
Comme vous le savez tous, la cabaña brava actuelle est très peu diversifiée et les chiffres le prouvent : concrètement seulement six encastes (sur vingt-trois) dépassent cette valeur étalon. L’image actuelle en terme d’encaste est donc la suivante :
- Domecq : 43,5 %
- Domecq-Núñez : 11 %
- Atanasio : 10 %
- Núñez : 8 %
- Santa Coloma : 5 %
- Albaserrada : 4,5 %
Les chiffres ci-dessus se passent de tout commentaire. Ces six encastes représentent à eux seuls plus de 80 % des toros lidiés. Et nous parlons ici d’encastes, soit une dissection assez fine. Où sont donc passés les fameux Murube, les réputés Vega-Villar dont raffolaient les figuras il n’y a pas si longtemps, ou encore les Contreras, Villamarta, Pedrajas, Gamero Cívico, Conde de la Corte et Saltillo ? Tous ces illustres élevages, que leur réussite a élevés au statut d’encaste, sont aujourd’hui passés aux oubliettes.
Outre le fait de réduire la variété du génome ganadero, cette répartition des six encastes majeurs donne comme unique bénéficiaire l’encaste Domecq, les autres se contentant de limiter les dégâts.
Bien que démontrant sans ambiguïté la réduction génétique du toro brave actuel, les chiffres présentés ci-dessus minorent pourtant l’importance du fléau. Je m’explique. J’ai choisi ici de distinguer les encastes Domecq et Domecq-Núñez, ce dernier étant issu, comme son nom l’indique, d’un mélange des encastes Domecq et Núñez. C’est ainsi que, au sein de cette seconde catégorie, nous retrouvons les Torrestrella, Torrealta, Santiago Domecq, Cebada Gago et autres. Des élevages dans lesquels l’encaste Núñez, bien qu’authentifiée, s’avère dans les faits d’une influence négligeable, à l’exception de Cebada Gago. Ce qui explique qu’ils soient communément classés sous la simple étiquette « Domecq ».
De même, l’encaste Domecq pur est une notion critiquable. En y regardant de plus près (une analyse génétique nous le confirmerait sans doute), bien peu nombreux sont les élevages qui n’ont pas introduit, à un moment ou à un autre de leur histoire, d’autres bêtes de la branche Parladé. L’exemple le plus évident est celui de l’élevage du Marquis de Domecq, lequel réunit les encastes Domecq, Conde de la Corte et Núñez.
Une déclinaison d’autant plus délicate que dans certains cas les variantes de la gamme Domecq-Núñez s’opèrent au sein d’un même fer, comme par exemple celui de Núñez del Cuvillo. Alors, suivant les familles, on se situe dans les différentes configurations : Domecq ou Domecq-Núñez.
En somme, il est aujourd’hui délicat de distinguer le bétail de ces deux encastes. Si bien qu’il ne serait pas faux, et qu’il serait même sans doute pertinent de constater l’existence d’un encaste, qui serait en réalité très Domecq et un peu Núñez, et que l’on nommerait Domecq par simple souci de simplicité.
Cet encaste rassemblerait alors 54,5 % des toros lidiés ! Il n’est nul besoin de s’étaler sur la notion de diversité, si ce n’est pour dire qu’aujourd’hui la diversité se trouve au sein de cet encaste quasi unique.
Nous pouvons désormais revenir sur l’image de la rame Parladé ébauchée plus haut, afin de l’affiner davantage. Sa structure n’est pas constituée de portions larges, mais d’une immense tranche (Domecq), de deux parts « normales » (Atanasio Fernández et Núñez), complétées de parts minimes que constituent les six autres encastes Parladé existants (Gamero Cívico, Pedrajas, Conde de la Corte, Villamarta et les divers croisements de sangs parladeños).
L’image de la cabaña brava actuelle est donc la suivante :
Dans un souci de synthèse et de simplicité, j’ai choisi de ne pas détailler les strates minces : les encastes mineurs. Ils peuvent être répartis en trois groupes :
- Groupe 1, une phase difficile (2,5 % > représentativité > 1% ; sept encastes) :
Il s’agit de ceux qui subsistent tant bien que mal. Ces encastes ont une représentativité réelle mais n’ont pas les faveurs du monde taurin actuel. Cependant bien que rares, on les trouve. Voici la liste, par ordre d’importance : Domecq-Contreras ; Murube ; divers croisements Parladé ; Gamero Cívico ; Pedrajas ; Miura ; Villamarta. - Groupe 2, phase critique (1 % > représentativité > 0,5 % ; six encastes) :
Il n’est plus ici question de crise, mais de survie. Leur représentativité est si faible que leur disparition est un risque plus que probable. Cependant l’éventualité de jours meilleurs reste encore possible. On retrouve ici, toujours dans un ordre décroissant : Cuadri ; Urcola ; Vázquez ; Conde de la Corte ; Vega-Villar ; Gamero Cívico-Saltillo. - Groupe 3, phase terminale (0,5 % > représentativité : quatre encastes) :
Ce n’est plus ici une crainte mais une certitude, il n’est question ici que de temps. Si vous en avez l’occasion ne la ratez pas, car il se pourrait bien qu’elle ne se reproduise pas, tellement la fin est proche. Sont concernés : Contreras ; Saltillo ; Pablo Romero ; Hidalgo Barquero.
Avant de conclure, il me semble intéressant de s’arrêter un instant sur la notion de risque de disparition des encastes. Actuellement, ils sont nombreux à n’être représentés que par quelques élevages, parfois une mince poignée ou même une unique ganadería, donnant lieu à ce concept et à cette réalité étrange d’« encaste-élevage ». L’analyse simplement quantitative masque parfois le risque de disparition, avec des encastes fortement représentés en nombre de toros lidiés mais composés de peu d’élevages. Le faible nombre de fers issus d’un même encaste, en dépit d’un nombre parfois important d’exemplaires combattus, représente un risque d’extinction bien réel et pourtant sous-estimé.
Un ratio, rapprochant la représentativité des encastes à leur dispersion en nombre d’élevages, permet de quantifier le risque. Littéralement, ce ratio manifeste le risque de disparition de ce que nous voyons aujourd’hui.
Voici la liste par ordre hiérarchique :
Albaserrada (1.43) / Miura (1.4) / Cuadri (1) / Partido de Resina (1) / Contreras-Domecq (0.6)
Ainsi, plus que Partido de Resina, Cuadri ou Miura, qui sont pourtant des « élevage-encaste », l’encaste le plus menacé dans le sens « ne plus voir ce que nous voyons » est l’encaste Albaserrada. En effet, poussé par le succès de Victorino Martín, il est l’un des encastes actuels majeurs, mais doté de seulement trois « représentants » : Victorino Martín, Adolfo Martín et Escolar Gil, soit un taux de risque extrêmement important.
En conclusion, des castes fondamentales ne subsiste que le tronc Vistahermosa. De celui-ci, ne reste pratiquement plus que les Parladé, et des Parladé, les Domecq. Avec le temps, la variété génétique initiale de la cabaña brava a été purement et simplement décimée. Mais la vie étant faite de cycles perpétuels, cette diversité se retrouve à présent dans les composantes du Domecq. Une diversité qui pourrait s’accentuer au fil du temps, à mesure de la multiplication des élevages issus de ce sang. Une note d’espoir certes, mais qui ne compense pas la perte engendrée, et qui ne console en rien du fait de ne pas avoir su préserver la diversité génétique des temps passés.
Aujourd’hui nous comptons vingt-trois encastes, dont près de la moitié sont sérieusement menacés. A n’en pas douter, certains vont disparaître et d’autres naîtront pour les remplacer. Mais si nous pouvions soigner tous les encastes encore présents aujourd’hui pour les préserver tout en se félicitant des naissances à venir, bien nous en soit rendu.
* Erratum Une petite erreur de chiffre s’était glissée dans notre premier chapitre ; c’est pourquoi vous trouverez une légère différence de pourcentage dans la répartition Parladé / Vistahermosa parladeño, qui passe de 83 %/11 % à 80 %/13 %. Ce qui, vous en conviendrez, ne change pas grand-chose.
Nota sur la classification des encastes
La répartition des élevages suivant les encastes et le rassemblement des encastes par rame est un exercice délicat et par définition erroné. Aucune des classifications ne pouvant prétendre à l’exactitude, je me suis attaché, plus qu’au détail technique, à conserver une perception globale cohérente. Ainsi, pour l’encaste Pinto Barreiros, j’ai choisi de négliger l’apport Santa Coloma pour le classer dans la rame Parladé. L’image des toros de cet encaste me semble conforme à la branche Parladé, le sang santacolomeño m’apparaissant aujourd’hui complètement absorbé. De même, la caste Urcola n’est pas classée dans les Vistahermosa à influence parladeña, bien que des apports d’étalons Conde de la Corte (Parladé) fussent opérés.
Photo Toro de caste Urcola de Paco Galache @ Camposyruedos