03 décembre 2008

Analyse - Les encastes - Présentation (I)


Depuis l’an 2000, je compte. Un toro par-ci, un autre par-là. Au départ je comptais à tout va, sans trop savoir pourquoi. Je me doutais bien que cela servirait un jour. Un jour, oui c’est sûr ! Mais ce jour fut long à arriver.
Tout d’abord il fallut trouver une méthodologie, un ordre, et rompre le caractère aléatoire des débuts. Puis une fois validée la méthode, il fallut se pencher sur les critères. Vint alors le temps de la rigueur. Puis… puis… puis… du temps. Des heures, des jours, des semaines, des années. Du temps. Compter, compter et toujours recompter. A force, je me lassais, mais il y avait toujours un bon ami qui passait par là pour me re-motiver. Un ami pour me dire que ça servirait, un jour. Ah, ce fameux jour ! Et puis la vie faisant son chemin, il y eut pénurie de temps, mais toujours une chose ou un homme pour me sortir de l’ornière et rallumer la flamme du projet. En parlant d’homme, je dois un
« brindis muy especial » à l’ami Felipe qui, lorsqu'il n’est pas de fiesta à La Fuente de San Esteban, passe son samedi soir à compiler des données. Des données pour ce foutu projet, en vu de ce fameux jour. Vous savez, un jour…

Je ne sais pas si ce jour est arrivé, mais après neuf années de travail, j’ai aujourd’hui à ma disposition une base de données quelque peu exhaustive. La saisie va continuer, mais dès à présent il me paraît pertinent de tirer une première analyse sur les cinq dernières
temporadas (2004, 2005, 2006, 2007 et 2008).

Rassurez-vous, je n’ai pas en ma possession toutes les données ; alors j’ai fait un choix : partir sur les arènes de première catégorie de France et d’Espagne, soit : Madrid, Barcelone, Bilbao, Saint-Sébastien, Valence, Cordoue, Málaga, Séville, Vic-Fezensac, Bayonne, Arles, Dax, Béziers, Mont-de-Marsan et Nîmes. Une sélection évidemment orientée vers la facilité de la collecte des données, mais aussi et surtout parce que ce sont les arènes qui comptent. Ainsi, en collectant toutes les données des
toros lidiés dans ces arènes pendant une période de cinq ans, soit la bagatelle de 8 274 toros, je vous présente mon analyse. Une analyse qui se fera en plusieurs volets, histoire de ne pas vous lasser.

Mais avant de débuter, je profite de l’occasion pour lancer un appel à information. Afin de compléter encore un peu plus cette base. Vous pouvez m’aider en m’envoyant vos données à l’adresse suivante :
thuries@terredetoros.com. L’idéal étant bien entendu un scan des différents sorteos.

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Maintenant place à l’analyse et en premier lieu à une présentation globale.

Passons rapidement sur le nettoyage ethnique réalisé depuis de nombreuses années par le tronc Vistahermosa. Il représente aujourd’hui 99,4 % des toros lidiés mais ceci n’est pas une nouveauté.

Seule la caste vazqueña peut encore lui prendre quelques parts (0,6 %). Aussi modeste soit cette part, c’est une véritable satisfaction que d'en voir survivre (et lidier) quelques bêtes. Un témoignage de la diversité du passé. Mais à ce petit miracle, il convient de mettre un gros bémol : celui de la diversification de cette caste. En effet, tous les toros vazqueños courus en première catégorie sortent de seulement deux élevages : Prieto de la Cal et Concha y Sierra. Autant dire qu’il faut en profiter, le risque de disparition étant très élevé.

Pour les autres troncs, si quelques-uns subsistent encore, comme les Navarrais, ils n’entrent plus dans les arènes.

Dans une cabaña brava uniformément vistahermoseña, l’encaste Parladé est roi. Plus que largement majoritaire, il écrase ses concurrents avec 83 % de parts de marché, dans sa version pure.

Il y a un siècle (1904), Fernando Parladé constituait sa ganadería à partir du bétail de Ibarra. L’homme ne conservera son élevage qu’une dizaine d’années, pourtant son patronyme va rester. Mieux, il va devenir la synthèse du toro moderne, comme le sera sans doute dans quelques années Juan Pedro Domecq. Plus que son talent d’éleveur, le caractère historique de Fernando Parladé tient en deux faits. Tout d’abord, il est un point de départ, la racine de nombreuses origines, telle que les Conde de la Corte, Domecq, Atanasio Fernández, Núñez et Gamero Cívico dans sa version pure ou Santa Coloma dans sa version métissée. Ensuite, parce que malgré ce prospère héritage, multiple et varié, les variantes ont toutes maintenu des caractéristiques traditionnelles des Parladé, donnant un caractère de synthèse imagé au nom.

En cent ans, la descendance de Fernando Parladé a réussi à gommer pratiquement toutes les variantes qui dérivaient du tronc Vistahermosa. Aujourd’hui subsiste en piste seulement 6,6 % de toros vierges de l’influence parladeña (dont 0,6 % n'appartenant pas au tronc Vistahermosa, vous suivez ?). Et nous pouvons les nommer, la liste étant bien modeste : Vázquez, Urcola, Murube, Contreras, Partido de Resina, Miura et Saltillo.

Ainsi, il convient de partager en trois catégories le monde de l’élevage actuel :

Parladé (82,7 %)
Vistahermosa avec influence parladeña (10,7 %)
Autres (6,6 %)

La question, légitime, qui se pose alors est celle de savoir si ce schéma connaît des variations. En d’autres termes, ce rapport évolue-t-il en fonction d’autres paramètres, comme le pays, les années ou le type de spectacle ? La réponse est non. Globalement, ces paramètres ne modifient que très légèrement cette représentation.

La notion de territoire influe peu. L’image présentée ci-dessus est valable quel que soit le pays, aussi bien en France qu’en Espagne.

Les années n’égratignent pas non plus cette vision. Les oscillations les plus fortes d’une année à l’autre atteignant péniblement, pour les plus fortes, la barre des 3 %.

En revanche, on peut noter quelques évolutions en fonction de la catégorie du spectacle. Qu’il s’agisse d’une corrida ou d’une novillada, les choses diffèrent légèrement. Si la part de Parladé pur reste relativement constante, la portion de Parladé mêlée à d’autres influences, diminue en novillada, laissant place aux autres races. Au bilan, en novillada les deux alternatives au pur Parladé s’équilibrent.

Du moins en Espagne, car en France la part de novillos parladeños aux sangs mêlés, le plus souvent assemblés à d’autres branches du Vistahermosa comme par exemple le Santa Coloma, qui est l’encaste représentatif de cette catégorie, augmente fortement (18 %), rognant même sur le pur Parladé (77 %). Cependant, et contrairement à certaines idées reçues, les novilladas françaises ne favorisent pas la diversité en dehors du sang Parladé, puisque les encastes qui en sont indemnes représentent seulement 5 %.

En conclusion, la France offre en novillada une alternative au pur Parladé plus forte qu’en Espagne. Mais ces variantes restent liées au Parladé, tandis qu’en Espagne la diversification se fait hors de l’encaste ultramajoritaire.

Enfin, il est bon de noter l’évolution de la situation française avec la période de langue bleue (2005, 2006 et 2007). Une fois les frontières ouvertes, le pur Parladé a subi une baisse modérée pour se stabiliser autour des 75 %. Si cette chute favorise la diversité, celle-ci reste liée au Parladé. Les autres encastes ayant beaucoup de mal à atteindre les 10 %.

En conclusion, le Parladé domine, que dis-je, écrase très nettement la planète taurine. Quelle que soit la variante retenue, le Parladé dans sa version pure occupe près de 80 % des parts de marché. Et si l’on s’intéresse à son influence, on atteint les 95 %, laissant seulement 5 % aux autres encastes.

Au prochain numéro, nous entrerons un peu plus dans les détails en présentant une analyse par encaste. Nous pénétrerons ainsi dans la sphère des Parladé and Co., où là encore de nombreuses autres inégalités nous attendent.


Photographie
Un toro de Concha y Sierra (Vázquez), vestige du passé © Camposyruedos