Patas blancas en negro y rojo © José 'JotaC' Angulo 2011 |
Quand on longeait la route, là-bas, entre Salamanque et Ciudad Rodrigo, elles attendaient posées sur l’herbe tendre, les vaches blanches et noires, comme les touches d'un vaste piano champêtre.
C’était une symphonie bicolore du Campo Charro qui valait le déplacement, qui régalait l'œil et relançait les rêveries taurines pour toute une temporada. Quand elles étaient suivies par un añojo, c’était une faena entière qui se déplaçait, un combat épique qui germait dans la tête du moindre observateur à peine aficionado. Désormais il ne reste que la prasine de l'herbe au milieu des chênes ancestraux. Les toros ont déserté les lieux comme ils désertent l’arène.
En novembre dernier, l’éleveur a dû se résoudre à conduire ses bêtes à l'abattoir. Il l'a fait pour des raisons diverses. Pour des problèmes sanitaires, bien sûr, mais aussi à cause du désintérêt total des organisateurs pour ce type de bétail que les toreros refusent d'affronter. On entrevoit encore, de loin en loin, la pointe d'une patte de patas blancas lors d’une course de rejón, guère plus.
Exit Los Majadales. Justo Nieto a rendu son tablier, Sánchez-Cobaleda vient de jeter l’éponge. Il ne reste, pour maintenir la lignée, que les Paco Galache, les Barcial ou les Monteviejo de chez Victorino. C’est bien peu. Les Vega-Villar vont disparaître du paysage. Seule subsistera leur légende centenaire, résultat du croisement mythique entre le sang des illustres Veragua et celui des fougueux Santa Coloma. Ces toros comptaient pourtant parmi les préférés des vedettes, Manolete les réclamaient et ils étaient incontournables lors des grandes férias... d'autrefois.
Aujourd'hui, on multiplie les programmations aseptisées, démagogiques et répétitives. On se complaît dans un faux-semblant de bon aloi. On tente de nous faire prendre des vessies plus ou moins "domecqstiquées" pour les lanternes magiques d'une tauromachie de pacotille. C'est consternant. Nous sommes entrés dans l'ère de l'artifice et du régime dissocié : du Vega-Villar, pourquoi pas, mais fragmenté en plusieurs courses, un indigeste carpaccio de pièces très détachées !
Dans ce registre, l'insipide Madeleine qui s’est achevée mardi par une soupe à la grimace est un modèle du genre. Elle proposait, pour commencer, des Garcigrande. Une sorte de gaspacho léger, relevé par quelques micro-gouttes de Veragua, diluées à dose homéopathique dans du jus de Juan PedrO. Un vague rappel des origines qui permettent encore à ces bestioles de tenir en piste sans s’avachir complètement. Pour conclure, un plat dit de résistance : La Quinta, fade, édulcoré, sans gras ni couenne, désossé. Du Santa Coloma ultra-light, des Buendía rachitiques, commodes de pied en cap, gentiment compréhensifs, ineptes collaborateurs.
De la camelote de bout en bout !
Les temps changent. Autres temps, autres mœurs, à vaincre avec peu de péril... on évite bien des dangers.
Heureusement, il reste çà et là des organisations fidèles à des valeurs d'indépendance qui défendent la diversité des encastes et qui offrent leur place aux élevages marginalisés ou minoritaires.
Les temps changent. Lentement, les noirs et blancs s'effacent du campo... Autres goûts, autres couleurs.
Puisque la mode est au réchauffé, permettez que je vous présente un plat encore tiède, un texte qui abordait la dernière course montoise dans Le Petit Journal du Plumaçon.
La Quinta, le goût des autres...
Non monsieur, non ! La Quinta n’a jamais été fabriquée à Aulnay-sous-Bois. Non ! La Quinta n’est pas l’épouse de Charles Quint. Non, non et non ! Rien à voir avec le loto sportif ibérique et les paris "fôteubollistiques". Perdu ! Ça, c’est la Quiniela. Non ! Monsieur, vous faites fausse route. Ne vous obstinez pas. En classe, c’est sûr, vous n’écoutiez déjà que d’une oreja. Distraite et sélective, l’oreja. Vous êtes convaincu depuis toujours que l’espagnol est une langue facile : au masculin, ça finit en "o", au féminin tout se termine par "a". Et voilà, un apprentissage rapide, vingt ans de lacunes : aujourd’hui, on contemple les dégâts.
Heureusement qu’il vous reste les souvenirs d’enfance et les vacances sur la Costa... ?
— Euh... Bravo ? Comme les toros...
— Non, Brava, comme la vaca !
— Brava, c’est ça... La Costa, féminin, Brava.
— Bravo !
Et surtout, la paella. Vous vous rappelez ? Le couple, au bas de l’avenue, la Casa Chopero (je crois)... C’est si loin tout ça... Un vieux bonhomme rabougri, fripé, tordu et sans âge, sec comme un coup de trique. Antonio, Pablo, Luis Mariano ? C’est si loin tout ça... Et sa femme ? Comment déjà ? María, Conchita, Carmencita ? Rosa, c’est ça ! Elle s’appelait Rosa.
C’est elle qui vous gardait le mercredi. Le mercredi, chez Rosa, c’était paella.
— ¡Hola, muy bonitas!
Rosa souriait. Votre usage de la langue d'El Cordobés lui semblait surréaliste et poétique. Elle adorait.
— Buenos días, répondait-elle en avançant le premier plat. ¿Quieres zumo? Elle attendait pour se délecter d’un double sourire. Ah ! la jota !
— De narranrra por favor.
La paella, jusque-là, vous n’en aviez mâché qu’à la cantoche. Une sorte de pâté jaune et gluant avec des petits bouts de caoutchouc planqués à l’intérieur qui collaient aux dents et vous restaient sur l’estomac. Bizarre tout de même que ça s’appelle pareil !
— Suculenta, "excelenta", enfin bref, super buena ta paella, Rosa !
— Muchas gracias. Une fois vous en avez repris cinq fois. Rosa n’en revenait pas, elle a juste dit à Pablo : "Es la quinta."
Il y a peu, par nostalgie, vous êtes repassé par là. C’est devenu un restaurant branché, "La casa de Simón y Mari". Service impeccable, trois garçons très stylés : Curro, Julián et Thomas. La paella, c’est le mardi, une sorte de pâté jaune et gluant avec des petits bouts de caoutchouc planqués à l’intérieur qui collent aux dents et vous restent sur l’estomac. Parfois, pour le piquant, il y a une tranche de chorizo très très fine, mais c’est rare. Bizarre que ça s’appelle pareil !
La Quinta, m’étonnerait beaucoup que vous en repreniez cinq fois !
C’était une symphonie bicolore du Campo Charro qui valait le déplacement, qui régalait l'œil et relançait les rêveries taurines pour toute une temporada. Quand elles étaient suivies par un añojo, c’était une faena entière qui se déplaçait, un combat épique qui germait dans la tête du moindre observateur à peine aficionado. Désormais il ne reste que la prasine de l'herbe au milieu des chênes ancestraux. Les toros ont déserté les lieux comme ils désertent l’arène.
En novembre dernier, l’éleveur a dû se résoudre à conduire ses bêtes à l'abattoir. Il l'a fait pour des raisons diverses. Pour des problèmes sanitaires, bien sûr, mais aussi à cause du désintérêt total des organisateurs pour ce type de bétail que les toreros refusent d'affronter. On entrevoit encore, de loin en loin, la pointe d'une patte de patas blancas lors d’une course de rejón, guère plus.
Exit Los Majadales. Justo Nieto a rendu son tablier, Sánchez-Cobaleda vient de jeter l’éponge. Il ne reste, pour maintenir la lignée, que les Paco Galache, les Barcial ou les Monteviejo de chez Victorino. C’est bien peu. Les Vega-Villar vont disparaître du paysage. Seule subsistera leur légende centenaire, résultat du croisement mythique entre le sang des illustres Veragua et celui des fougueux Santa Coloma. Ces toros comptaient pourtant parmi les préférés des vedettes, Manolete les réclamaient et ils étaient incontournables lors des grandes férias... d'autrefois.
Aujourd'hui, on multiplie les programmations aseptisées, démagogiques et répétitives. On se complaît dans un faux-semblant de bon aloi. On tente de nous faire prendre des vessies plus ou moins "domecqstiquées" pour les lanternes magiques d'une tauromachie de pacotille. C'est consternant. Nous sommes entrés dans l'ère de l'artifice et du régime dissocié : du Vega-Villar, pourquoi pas, mais fragmenté en plusieurs courses, un indigeste carpaccio de pièces très détachées !
Dans ce registre, l'insipide Madeleine qui s’est achevée mardi par une soupe à la grimace est un modèle du genre. Elle proposait, pour commencer, des Garcigrande. Une sorte de gaspacho léger, relevé par quelques micro-gouttes de Veragua, diluées à dose homéopathique dans du jus de Juan PedrO. Un vague rappel des origines qui permettent encore à ces bestioles de tenir en piste sans s’avachir complètement. Pour conclure, un plat dit de résistance : La Quinta, fade, édulcoré, sans gras ni couenne, désossé. Du Santa Coloma ultra-light, des Buendía rachitiques, commodes de pied en cap, gentiment compréhensifs, ineptes collaborateurs.
De la camelote de bout en bout !
Les temps changent. Autres temps, autres mœurs, à vaincre avec peu de péril... on évite bien des dangers.
Heureusement, il reste çà et là des organisations fidèles à des valeurs d'indépendance qui défendent la diversité des encastes et qui offrent leur place aux élevages marginalisés ou minoritaires.
Les temps changent. Lentement, les noirs et blancs s'effacent du campo... Autres goûts, autres couleurs.
Puisque la mode est au réchauffé, permettez que je vous présente un plat encore tiède, un texte qui abordait la dernière course montoise dans Le Petit Journal du Plumaçon.
La Quinta, le goût des autres...
Non monsieur, non ! La Quinta n’a jamais été fabriquée à Aulnay-sous-Bois. Non ! La Quinta n’est pas l’épouse de Charles Quint. Non, non et non ! Rien à voir avec le loto sportif ibérique et les paris "fôteubollistiques". Perdu ! Ça, c’est la Quiniela. Non ! Monsieur, vous faites fausse route. Ne vous obstinez pas. En classe, c’est sûr, vous n’écoutiez déjà que d’une oreja. Distraite et sélective, l’oreja. Vous êtes convaincu depuis toujours que l’espagnol est une langue facile : au masculin, ça finit en "o", au féminin tout se termine par "a". Et voilà, un apprentissage rapide, vingt ans de lacunes : aujourd’hui, on contemple les dégâts.
Heureusement qu’il vous reste les souvenirs d’enfance et les vacances sur la Costa... ?
— Euh... Bravo ? Comme les toros...
— Non, Brava, comme la vaca !
— Brava, c’est ça... La Costa, féminin, Brava.
— Bravo !
Et surtout, la paella. Vous vous rappelez ? Le couple, au bas de l’avenue, la Casa Chopero (je crois)... C’est si loin tout ça... Un vieux bonhomme rabougri, fripé, tordu et sans âge, sec comme un coup de trique. Antonio, Pablo, Luis Mariano ? C’est si loin tout ça... Et sa femme ? Comment déjà ? María, Conchita, Carmencita ? Rosa, c’est ça ! Elle s’appelait Rosa.
C’est elle qui vous gardait le mercredi. Le mercredi, chez Rosa, c’était paella.
— ¡Hola, muy bonitas!
Rosa souriait. Votre usage de la langue d'El Cordobés lui semblait surréaliste et poétique. Elle adorait.
— Buenos días, répondait-elle en avançant le premier plat. ¿Quieres zumo? Elle attendait pour se délecter d’un double sourire. Ah ! la jota !
— De narranrra por favor.
La paella, jusque-là, vous n’en aviez mâché qu’à la cantoche. Une sorte de pâté jaune et gluant avec des petits bouts de caoutchouc planqués à l’intérieur qui collaient aux dents et vous restaient sur l’estomac. Bizarre tout de même que ça s’appelle pareil !
— Suculenta, "excelenta", enfin bref, super buena ta paella, Rosa !
— Muchas gracias. Une fois vous en avez repris cinq fois. Rosa n’en revenait pas, elle a juste dit à Pablo : "Es la quinta."
Il y a peu, par nostalgie, vous êtes repassé par là. C’est devenu un restaurant branché, "La casa de Simón y Mari". Service impeccable, trois garçons très stylés : Curro, Julián et Thomas. La paella, c’est le mardi, une sorte de pâté jaune et gluant avec des petits bouts de caoutchouc planqués à l’intérieur qui collent aux dents et vous restent sur l’estomac. Parfois, pour le piquant, il y a une tranche de chorizo très très fine, mais c’est rare. Bizarre que ça s’appelle pareil !
La Quinta, m’étonnerait beaucoup que vous en repreniez cinq fois !