16 juillet 2011

De la tradition


À Malcos, Éric...

En Pamplona, Navarra, on court Cebada, Dolores ou Miura comme on transmet le zuzulu familial trois fois centenaire de père en fils, parce que c'est comme ça. La tradition c'est quand on peut plus s'en passer et qu'on a oublié pourquoi, et, ici, la peur en est une. Même sans caste et avec un mental de daurade, les toros doivent avoir l'air de dieux terrifiants. Même avec les convictions guerrières de Marie-Chantal, ils sont beaux et fiers, armés et couillus, et c'est d'abord ça qui compte. Qui ne sait pas que le galop d'un sardo au milieu du peuple ruant d'Estafeta jusqu'au grand cirque navarrais de la Casa de Misericordia est un spectacle qui mettrait à genoux tous les jardins suspendus de Babylone ? L'histoire, elle, ne s'écrit que dans les reseñas du lendemain mais, au fond, ici, à Pamplona, ce qui compte avant tout c'est l'excès, surtout quand il s'incarne en explosion magnifique de bois, de chair et de rage à vif défiant la terre entière au milieu de ce gouffre hurlant peuplé de fous ; et ça, personne n'a le droit de l'ignorer.
Voir les toros de Pamplona, les courir, devenir un homme, et mourir... Le reste, on s'en fout. Sauf que le parfum enchanteur unique et archaïque des gaïtas et tamboriles de la fiesta sin igual se dilue chaque année un peu plus dans les effluves puantes des plus célèbres matins du monde, au nom de la liberté de tous. San Fermín ne pouvait pas garder son secret de famille indéfiniment...
A l'heure des churros dans le chocolat made in la bétonnière, les divins chauves à moustache, cons comme des pelles, avaleurs de potxas et de costas de buey, larges d'épaules mais pas de Q.I., ne font plus le show au rendez-vous dantesque des hommes courage et des aurochs terrifiants, et pourtant, c'est bien eux qu'on attendait, qu'on cherchait, qu'on repérait. Autrefois, on ne voyait qu'eux, on ne regardait qu'eux, on les admirait et l'encierro de Pamplona tonnait comme une avalanche parce qu'il avait quelque chose à dire, parce qu'il faisait peur, parce qu'on le craignait. Ça sentait le vieux chêne et le fer fraîchement martelé, ça sentait le cuir des pelotes malmenées, la pierre usée par les hivers rugueux et les chaleurs intenses, ça sentait la testostérone rêche des hommes de ce pays, ça sentait la tradition, ça sentait la Navarre, et tout le monde aimait ça, étendards haut dressés, et lauburu sur le cœur. Tension et peur engendraient le respect. À la place, ce trop-plein de faux Hemingway à la con, nouveaux rois bouffons de la Estafeta à la dégaine ridiculement élaborée, qui s'étirent grotesquement aux angles noirs de la rue, annonçant mondialement la promesse d'une course titanesque dans le berceau d'un Miura qu'ils raconteront longtemps, sans jamais l'avoir faite. Menteurs, tricheurs, baltringues et ignorants, tous sont là, sur le coup de 7h45 au matin, quand les caméras n'ont rien d'autre à croquer que les clownesques yankees bedonnants auxquels même un pañuelo rouge ne va pas bien. Parfois, même, une paire de gonzesses lustrées comme des enjoliveurs que certains reconnaissent parce qu'ils les baisaient lamentablement dans les chiottes d'une peña suante 2 ou 3 heures auparavant... Bref, tous sont là, à pisser sur les arpions du Santo Bendito sans même le savoir, dans une esclaffade générale à Santo Domingo, Telefónica ou Mercaderes. Et ça fait marrer la foule. Bienvenue dans le plus grand cirque du monde, l'amusement mondial number ONE qui fait poiler les grands et les petits ! Et surtout, n'oubliez pas : L'ENCIERRO C'EST DANGEREUX CAR VOUS POUVEZ VOUS FAIRE MAL !
Aucun n'arrivera dans l'enceinte, on le sait... car aucun ne partira. Mais la peur d'autrefois n'a rien à voir dans tout ça, car tous étaient là, pour maman restée dans l'Ohio, pour la chérie coincée de l'autre côté des Pyrénées, ou pour honorer la mémoire glamour du grand Ernest, l'américain barbu alcoolo sans qui la Navarre ne serait qu'une province à pinard de mesa, oui, mais c'était sans compter sur la tradition de cette terre, LA terre des traditions. Et quand on la sait, la tradition, celle d'ici, celle qui part de Santo Domingo et court jusqu'au cœur du joyau austère de la Casa de Misericordia de Pamplona, on ne pose pas sa main sur le bois royal d'une corne. Pas même pour redresser une course devant un Miura. Jamais...

À ceux d'ici, à ceux qui savent, à ceux pour qui la peur se respecte parce qu'elle est tradition.