« De postre, tenemos... flan, cuajada, arroz con leche, frutas del tiempo, nata, sorbete, etc. » Et puis, plus tard, sur les gradins : « Hay cerveza, Coca-cola, Fanta lemón, etc. » Litanies rythmant la journée du voyageur taurin, mais litanies modernes.
Théophile Gautier se plaignait de ne manger toujours que le même « ragoût » à base de poids chiches agrémenté de lard, et Alexandre Dumas dut se satisfaire d’une tasse de chocolat à Tolosa après une journée de carriole impossible. « L’auberge espagnole », pendant longtemps, s’était un foyer et un trou dans le toit pour évacuer la fumée. Le voyageur arrivant là se mettait aussitôt en quête de nourriture et ramenait un bout de viande dont il fallait attendre qu'on voulût bien lui cuire. Plus tard, Hemingway faisait saliver le lecteur en glissant avec astuce qu’à tel endroit il était tombé sur le meilleur jambon du monde, et qu’à tel autre le vin fabuleux ne coûtait rien. Même le cognac espagnol suscitait des enthousiasmes disproportionnés chez l’alcoolique barbu.
Comme n’importe quel aficionado, j’ai avalé des centaines de menu du jour et autres platos combinados. Il y en eut des pittoresques, des ordinaires, parfois indigestes, mais souvent sympathiques, bruyants et drôles. Un jour, à Almorox, le serveur se souvint de ce que nous avions commandé (alcachofas con jamón y ternera) lors de notre passage un an avant, pas mal...
Je me souviens d’un menu du jour, à Madrid, au Restaurant des Artistes à Latina. Il coûta six euros cinquante avec les deux plats, le dessert, le pain, le café, la IVA et le vin glacé pas bon. Et au célèbre Malacatin, Calle Ruda, on manqua de me perdre après un cocido indécemment copieux. J’ai conservé le parte facultativo délivré par les ambulanciers.
Mais si un jour vous passez dans le Haut Aragón, regagnez un pueblo à l’écart qui se nomme Siétamo... non loin de Huesca, garez-vous au soleil sur la place car vous êtes dans l'un de ces villages où l’ombre n’existe pas, sauf la nuit. Faites 100 m, ABADÍA, vous entrez dans la posada de pierre : il y fait frais, c’est joli, sombre, propre, calme (donc sans la télé, le percolateur et la machine à sous). Puis, dans le menu du jour, vous choisissez les alcegas (blettes) qui viennent du potager que vous apercevez par la fenêtre. Puis le porc rôti au four et tout croustillant de partout, avec des pommes sautées, un poivron grillé et, surtout, le petit pot d’aïoli de leche qui devient cerise sur le gâteau. Vous avez un vrai verre à vin, une nappe en tissu, un vrai flan de la maison élaboré avec subtilité, du vrai vin pas glacé et qui n’a peut-être même pas connu la cuve en aluminium au soleil, le tout servi par un serveur attentif, discret, sympa et calme. Coût de la prestation : 11 euros. L’établissement est tenu par des jeunes proposant des chambres et des formules week-end. Ils ont pour nom Olga et Ismael et ont obtenu le Prix du meilleur ensemble de tapas de la province de Huesca. Ils ambitionnent de combiner cuisine traditionnelle et touche d'avant-garde... Ils proposent des gîtes, bref, ils se démènent au milieu de nulle part puisqu’ils sont, à eux seuls, une vraie destination. C’est par là : http://www.abadiasietamo.es/.
Alors, chose inimaginable il y a encore trois jours... j’ai fait le Japonais. Une photo... avec mon portable... de mon assiette... Oui, je sais ! Et si vous continuez vers l’est, vous arriverez à Barbastro où vous constaterez que la porte sombra des arènes est située à exactement 7,70 mètres du musée du vin et de son restaurant. Et dans le restaurant du musée, devinez "quoi qu'y a" ? Du somontano, et donc Enate, Laus, Osca... Premier menu à 15 euros, sans le vin bien sûr... Les toros ? Bientôt.
Mario Tisné