29 juillet 2011

Sans prétention


J'ai commencé à ouvrir les yeux. Sans doute à cause de la clarté qui envahissait la pièce... Pas un bruit, ou si, juste celui d'un oiseau, et l'envol léger du rideau, parce que la brise le caressait par la fenêtre restée ouverte. Je compris où j'étais, quand je réalisai que Karla dormait profondément, nonchalamment comme elle seule sait le faire, juste à côté, là, éparpillée dans un enchevêtrement de draps et d'oreillers. Un vrai champ de bataille tout en douceur. Normalement, depuis trop longtemps, j'aurais bondi automatiquement comme un con bouffé par des exigences routinières et quotidiennes, professionnelles. Mais là, non, c'était dimanche matin, juillet, et tout allait bien. J'écoutais paisiblement ce que le silence avait à dire. Je regardais le plafond, les traces de doigts sur le miroir et le regard intrigant de ce masque hirsute du cœur de l'Amazonie, qui semblait se moquer de nous. Je regardais rien, en fait. Une mouche qui raye le silence. Puis, une main qui frôle mon épaule. Un œil amoureux qui s'entrouvre pour accrocher mon regard. Un sourire engourdi. La vie qui fait surface...
Parce que les habitudes sont là, et y restent, j'ai regardé l'heure. 11 h... j'appuie sur le bouton, et le café coule. C'est bien. 1 sucre. Je regarde par la fenêtre. Nuageux... mais il ne fait pas froid. John Coltrane, Live in Seattle, 1965. Je vais faire un tour, tu viens ? On prendra la douche plus tard. Karla enfile un short, un t-shirt. Moi aussi. On ajuste un peu les mèches récalcitrantes. Sur l'étalage, on se laisse tenter par une daurade et deux truites ; on fait semblant de se passionner pour les conneries que nous balance le boulanger content de lui, et l'on va, le long de la rue, parce qu'on n'a pas d'autres soucis.
Les oignons me font pleurer. C'est comme ça, j'y peux rien. Sur un lit d'huile d'olive, de menthe fraîche et de muscadet frémissant, je dépose les deux truites endormies. Karla aime bien ajouter quelques crevettes, dans le riz... Moi aussi. Dans nos verres à bascule récemment acquis, un petit rosé bien frais conseillé par le caviste d'en face. Au fond, toujours la brise, le hurlement lointain d'une sirène de pompier, et Chet Baker soufflant onctueusement « My Funny Valentine ».
3 vols de coccinelles, pour autant d'instants réjouis de celle qui n'en avait jamais vu avant, quelques pages d'un magazine sans intérêt et 2 endormissements sans conséquences sur un canapé outrageusement accueillant plus tard, bercée par Herbie Mann et João Gilberto dans leur légendaire version veloutée du glamour carioca, la journée s'éteignait doucement. Paradoxalement, c'est aussi l'heure où l'on décidait de rencontrer la petite faune sympathiquement déglinguée qui se joint généralement à nous pour profiter des fins de journées ensoleillées, comme un piéton d'une autoroute fermée à la circulation, comme une offrande inespérée que l'on voudrait partager avec les gens qu'on aime, juste ceux qu'on aime. Un hymne aux week-ends finissants, une ode aux plaisirs simples, ceux que l'on trouve seulement sous la semelle d'une Havaïana nonchalante. Là, au milieu du milieu du cœur de la capitale, un endroit vert et souriant où les gens, beaux et heureux, se retrouvent autour d'une bière fraîche ou d'un rosé enivrant pour afficher et célébrer leur joie de vivre et dire au monde que pour eux, pour nous, là, tout de suite, tout va bien.
Loin, très loin des doigts tendus bien haut, des promesses haineuses, des hurlements de colère, des regards en coin, des alliances tordues, des règlements de comptes, des engueulades fratricides, des révélations honteuses, des greniers enflammés, des coups de pute, des folies pyromanes au nom de rien, ou si peu, et de tout ce que l'on pourrait imaginer de pire qui se tramerait autour des ruedos de ces temps-ci, ma femme, mes amis et moi, on était bien.
Je découvrais qu'une bonne façon de vivre les toros sans souffrance, c'est parfois de les vivre de loin, voire de les oublier un instant.