Et la terre a tremblé (voir : Au pays du veau à deux têtes), en Parentis. 6 fois les trompettes de l'Apocalypse ont sonné, 6 fois la terreur a surgi ! Le ciel se couvrit et le vent se leva. Quoi qu'il en soit, tôt ou tard, il fallait en découdre, les sortir de leur antre, les 6 dragons du Raso de Portillo. Pour cela, on désigna les 3 plus fous qui partirent avec leur troupe d'infortune, des épées, quelques lances et autres étoffes plus un cheval, bien conscients qu'ils ne reverraient jamais ni femmes ni enfants ni amis. Alberto Lamelas, Juan Carlos Venegas et Carlos Guzmán étaient les élus.
La rumeur parlait de monstres et le champ de bataille semblait bien ridicule quand les novillos du Raso de Portillo (Valladolid) foulèrent le sable de leur galop impérial. Superbes et terrifiants, noirs et colorados (les deux derniers), dont un cousin du Quiñón (deuxième fer du Raso, sorti en 5), on priait pour les âmes perdues des trois fous de lumière, tant sauvagerie, force, puissance et présence en piste éclaboussèrent les esprits durant l'après-midi. Des pointes de genio, certes, et de mauvaises intentions parfois, aussi, au point qu'on aurait peut-être pu se satisfaire d'un éloge massif à la place d'une vuelta au 4ème, numéro 49, dont la vocation était de se lancer avec classe et puissance monstre dans l'ennemi du premier tiers. 4 fois il partit, 4 fois le lancier perdit pied... et la raison fit arrêter là l'épreuve, sans quoi, on y serait certainement encore... car ne vous y trompez pas, c'est bien de la résurrection d'un tercio disparu dont il fut question en cet après-midi béni. Bien à l'opposé des béni-oui-oui auxquels on se prépare dans certains endroits plus au sud, ici il s'agissait de bagarre, de sales regards, de grains de sable gagnés sur un territoire adverse, de sang, de sueur, de poussière, de larmes, de cris... En un mot, c'était la guerre. On mit en avant les lanciers et chacun eut à coeur de contenir valeureusement les terribles déferlantes santacolomeñas, retenant sang-froid et cheval d'une main, vara et équilibre de l'autre, comme un trois mâts en plein Cap Horn... Ça tombait de partout, ça craquait, fracassait, chutait lourdement mais ça n'abdiquait pas.
On craignait souvent pour les hommes à terre ou les montures renversées, tant les attaques fusaient de partout, à chaque instant. La guerre, je vous dis... Au total, 17 assauts, vous m'entendez ? 17... et un canasson blessé au cou par le dernier, un tonton très finement armé et qui eut la mauvaise idée de sauter à la tête de l'équidé lors de son premier assaut, renversant au passage, et pour l'anecdote, le picador de Guzmán, occasionnellement fils du mayoral Rafael, de la ganadería du jour, qui ferma le ban lors de son salut encouragé.
Je pourrais vous parler des bonnes intentions, du poder certain et du manque de potentiel du valeureux lidiador Lamelas qui se fit mordre sur 10 cm au mollet droit lors d'un quiebro maladroit face à son deuxième Raso de Portillo, qui aurait pu lui en proposer encore 10 fois plus, et des vertes et des pas mûres, mais le diestro préféra abdiquer, las et battu, alors qu'il avait habilement évité les incroyables retours félins de son bon premier. Je pourrais vous parler de la peur bleue qui tétanisa le jeune Venegas durant ses 2 confrontations avec les monstres de Valladolid, pourtant plus fixes, ou les 2 séries suaves et gauchères sur le premier d'un Guzmán bien revenu et qui fut seul à rivaliser avec les "trop encastés" Raso (pardi !) dont le second et dernier marqua l'assistance par sa présentation, ou encore des trop mauvaises épées données en ce jour, souvent plus destinées à mettre un terme quelconque à ce cauchemar venu des pinèdes de Boecillo. Je passerai volontiers sur l'état de la piste, l'absence d'oreilles coupées ou la douloureuse prestation de certaines cuadrillas poussant au ridicule l'art de banderiller, mais le fait est suffisamment rare et trop peu anodin pour ne pas se pencher sur le sérieux avec lequel tous les protagonistes du jour, chacun avec ses moyens propres, se sont engagés sur cet aspect de la corrida, désormais vide de son sens premier : le tercio de vara. Et si les picadors du jour furent assurément de vrais héros, récoltant au passage éloges et récompense égales pour leurs prouesses et leur courage, l'Association Des Aficionados de Parentis fut remarquable dans son approche de la chose, en parvenant notamment à faire admettre et à démontrer qu'il y a aujourd'hui, sur terre, des toros qui ne demandent qu'à être piqués. Trop-plein de caste, de bravoure voire même de trapío si vous voulez (mais vous ne voulez pas), mais de violence il n'y eut point, ou si peu. Quant à l'excès de caste, je ne sais pas ce que c'est. Juste un grand moment pour aficionados qui venaient chercher là ce que seuls des ganaderos de la trempe des frères Gamazo pouvaient leur mettre sous le nez, de la caste vraie, brute et sèche. Nous, les "exigeants", on en redemande encore, encore et encore...
La veille, plus au sud, les nouveaux ténors de la cité blanche des bords de l'Adour nous apprenaient que "tous les toros ne supportent pas deux piques et qu'elles ne seraient donc pas obligatoires", leur heure venue... Iñigo Gamazo leur dirait qu'il suffirait simplement de choisir des toros élevés pour les supporter.
El Batacazo
Photographie Le premier novillo du Raso de Portillo à la pique © Camposyruedos