D’après Robert, le dico, le masochisme serait un "comportement qui trouve du plaisir à souffrir, qui recherche la douleur et l’humiliation". Se rendre, conscient à l’avance de ce qu’écrit Robert, aux arènes de Dax pour assister à une corrida relève pour une grande part d’un masochisme schizophrène pour qui aime les toros et leur combat. Cela n’arrive qu’une fois par an me direz-vous, parce qu’un ami a un billet sur les bras au dernier moment, parce qu’après tout, parce que ce sont des Santa Coloma (Hoyo de la Gitana), parce qu’il y a des potes à retrouver à la buvette avant la course. C’est la partie plaisir de la définition. Assis parmi les autres, c’est la partie "souffrir, douleur et humiliation" qui reprend le dessus dans un dominio continu de deux heures 15 soit 135 minutes ou si vous préférez 8100 secondes.
- Bonjour, je voudrai un menu maxi BigMac avec grandes frites.
- Et la boisson ?
- Un grand Coca-Cola, s’il vous plaît.
- Je vous mets des sauces ?
- Oui bien-sûr, une barbecue et du ketchup.
- Merci, ça fera 7 euros
- Merci, au revoir, à bientôt.
Avez-vous remarqué qu’il n’y a quasiment jamais d’entrée dans ces menus de la bouffe rapide ? C’est ainsi, c’est le concept d’ailleurs, le fast-food. S’envoyer rapidement un morceau de viande hachée calé entre deux ronds de pain indigeste et mixé aux bulles d’une boisson noirâtre ultradécapante. Se donner vite l’impression d’être repu. Aller à l’essentiel, pas d’entrée, pas d’inutile, se remplir, directement au gras !
- Il était bien ce toro, il avait des passes. On devrait lui donner une vuelta.
Monsieur est repu. Il a eu son BigMac avec plus de sauce que prévu et il a même trouvé, pour une fois, que le fromage orange qui sèche si vite sur les bords du steak coulant avait un goût. Et c’est vrai qu’El Fundi a peint une très belle et très esthétique faena face à son second Hoyo de la Gitana, 'Medialuna II'. Un toro bravito en deux piques poussées avec fixité (mal piqué – dans l’épaule), de belles charges allègres au banderilles (bien moyennes) et qui se révèle doux et soso lors de la faena qui permet au maestro en pleine bourre de prouver à tous qu’il sait, lui aussi, dessiner de belles courbes bien lentes sur le sable dacquois couleur hamburger. Fundi a fait du Ponce, il a réussi à garder son toro debout tout au long de la faena. Un boulot d’infirmier en quelque sorte que d’autres auraient bâclé et qui n’était pas gagné d’avance tant l’animal a montré des signes de faiblesse après les deux premiers tiers.
Et le toro suivant, aussi, a eu des passes et Monsieur, juste devant, partout autour, avec Madame aussi qui rit aux anges, a demandé encore une vuelta al ruedo. 'Distinguido' est plus costaud que son prédécesseur mais construit de la même manière. Dès la sortie du toril, donc naturellement, la tête est positionnée sous la ligne du cul, bien basse. Machine à charger comme ils aiment tous ! Toro por abajo, toro fast-food ! Rafaelillo l’a bien compris et peint lui aussi sa faena, moins précise, moins stylée que celle du chef de lidia. Il se régale, sourit, prend de bien laides poses, enfonce une énorme épée et ramasse deux oreilles. Les pointes de ketchup sur les habits sauce barbecue remuent de joie comme un sac de vers de terre avant la partie de pêche.
Julien Lescarret a compris et se lance à l’assaut de 'Caracol II', 5 ans tout pile.
L’envie ne fait pas tout malheureusement. Elle n’empêche pas le pasito atrás, les embrouilles de muleta lors des changements de main et surtout, elle n’annihile pas la précipitation. Un recibir raté, une oreille, Lescarret sortira en marchant.
Voilà, le hamburger est digéré, Monsieur devant et autour est repu, Madame qui rit aux anges aussi… Dans deux heures ils auront faim et pèteront comme un Gargantua en bas-âge. Ce sera classe au Club taurin des "culs-serrés".
C’est ça le McDo, pas d’entrée, pas d’inutile, direct au gras. C’est ça Dax, pas d’entrée, pas d’inutile, direct aux passes. Le tercio de piques n’intéresse personne ici, mais alors personne. Des mises en suerte nulles de la part de tous les toreros (aucune distance, placement de travers), des picadors applaudis (oui !) pour avoir lacéré l’épaule d’un toro, un autre à peine hué alors qu’il venait d’ouvrir le flanc gauche du bicho (le 3) d’une affreuse estafilade et des piques utilisées évidemment à l’envers par des picadors sans vergogne. Seules comptent les passes et la toréabilité. Quel mot odieux ! La bravoure, la fixité, la caste n’ont aucune importance. Le toro doit être maniable ! A tel point qu’ici plus qu’ailleurs on réduit les entrées au maximum avec la complaisance indigne d’une présidence aux ordres. Rafaelillo demande un changement de tiers après une première pique correcte… accepté. Deux minutes plus tard, il réitère sa demande pour écourter un tercio de banderilles trop long à son goût… demande acceptée. Au dernier, le picador place une affreuse pique dans le bas de l’épaule gauche du toro qu’il a le bon goût d’ôter tout de suite. Le toro sort du caparaçon et Lescarret demande le changement de tiers… accepté. Un toro non piqué ! Deux minutes plus tard, il réitère sa demande pour écourter un tercio de banderilles trop long à son goût… demande acceptée. A Dax, les deux premiers tiers sont des entrées McDo, sans utilité, sans importance, sans réalité.
Derrière les petits drapeaux que les enfants agitent, le repas s’achève. Le BigMac dans les tripes, les trois frites qui restent sont molles et la paille au fond du grand verre de plastique renvoie des sons gastriques… Le Coca est fini. Il ne reste à venir que le meilleur moment, le somment de la bouffe rapide et prête à consommée… Le rot ! Par pudeur et politesse, on essaye de le cacher, de faire ça très discrètement, on ferme la bouche et on souffle les mauvaises odeurs par le nez… Oui, vous avez tous fait ça, ne mentez pas. Il est des civilisations dans lesquelles le rot final est marque de gratitude et d’appréciation de la cuisine à l’égard des hôtes. A la fin d’un McDo, le rot est bien plus l’appel à l’aide d’un estomac en souffrance qu’une marque de politesse. Hier, à Dax, le rot n’a pas manqué, vous pensez. Il a eu lieu au sortir de la course, quand Fundi et Rafaelillo étaient déjà jonchés sur de larges épaules. Le rot, ça a été de monter sur d’autres larges épaules le mayoral de la ganadería de Hoyo de la Gitana. Un rot impoli, déplacé et sans éducation. Un rot qui annonce l’haleine fétide d’une tauromachie malade du prêt à bouffer.