28 août 2008

Carcassonne, la cité aux deux visages (I) : côté pile


Le menu était copieux ; je le savais depuis l’hiver dernier et je m’y étais préparé. C’est ainsi que, sagement, j’avais décidé de sauter l’entrée pour me consacrer au plat de résistance ; l’attaquer avec une faim intacte, pour en profiter un maximum.
Pour être franc, j’avais quelques craintes sur ce met délicat, si souvent annoncé à grande réclame. Car le plus souvent, ces menus-là vous ouvrent l’appétit mais vous laissent sur votre faim. Les ingrédients portent de belles étiquettes mais sont des fonds de paniers, servis avec une présentation bâclée, plus qu’approximative, et, de surcroît, l’amalgame des subsistances ne fonctionne pas. Et au final, le mécontentement qualitatif, enflé par la déception, débouche sur un sentiment très désagréable. Je m’étais fait bien souvent avoir par ce genre d’annonces, avec une naïveté coupable. Le risque était là, mais l’envie de croire aux écriteaux ne pesa pas dans ma décision d’aller à Carcassonne, même si elle restait dans un petit coin de ma tête.

Et bien m’en prit.

Il n’y eut cette fois-là, et le cas est trop rare pour ne pas être souligné, point de mensonges. Le spectacle était en tout point conforme à l’étiquette et de surcroît organisé sans faille. Les novillos de Zaballos ressemblaient bien à ces Saltillo charros si particuliers, et leur sélection ne laissaient planer aucun doute : il s’agissait bien du premier choix. A la sélection de la matière première s’ajoutait le décor, soigné dans ses moindres détails. Arrastre impeccable, mais aussi torilero con trapío et même un camion citerne en charge d’arrosage décoré con mucho gusto.

La présentation, certes, mais aussi le contenu. Une présidence de bon aloi, accordant un juste équilibre entre le goût festif du spectateur occasionnel et la rigueur froide de certains aficionados. Les règles furent respectées, et le spectacle y gagna en sérieux et la plaza en crédibilité. Il n’y eut ce jour aucune monopique. Pas plus que de vuelta al ruedo volée. Aucun triomphe donc sur le papier comme sur le terrain, car de triomphes, il n’y en eut point. Pourquoi aurait-il fallu en créer ? Le triomphe en tauromachie est difficile, l’adéquation qui y mène peu probable amenant par là même son caractère rare. Mais sans triomphe il y a aussi tauromachie et pas forcément médiocre. Le bon n’est pas forcément beau. Il peut l’être, mais il ne l’est pas forcément. Le spectateur doit le comprendre pour apprécier ce qu’il voit et ne pas attendre la déclaration officielle pour s’enthousiasmer. Une novillada sans triomphe n’est pas forcément une mauvaise novillada et la déception ne doit pas être causée par l’absence de triomphe.

En ce sens, cette novillada de samedi fut une grande réussite, car elle permit aux novillos de dévoiler leurs qualités comme leurs défauts ; elle permit aussi aux novilleros de donner le meilleur d’eux-mêmes. Même si leurs qualités respectives ne suffirent pas pour parvenir au triomphe, les spectateurs purent assister à un spectacle authentique qui respecte le sens commun de la tauromachie. Pour avoir permis cette réalisation, la placita audoise a acquis l’estime des aficionados.
Pour revenir au spectacle à proprement parler, les novillos de Miguel Zaballos m’ont déçu. Une déception principalement due à leur manque de « chispa », du moins en ce qui concerne la moitié du lot. La caste était là, tous gardant la bouche close et ne refusant jamais la bagarre. Mais cette caste ne les poussa pas assez vers l’avant. Cette déconvenue trouve aussi sa source dans le manque de force des trois premiers exemplaires, l’excès de châtiment, comme le faisait remarquer l’éleveur, n’expliquant pas tout. Seul le quatrième novillo eut cette caste-là, le poussant à marcher en permanence sur le novillero, son instinct offensif demandant encore et encore au novillero qui, hélas, ne pouvait plus. Il y eut aussi de la mansedumbre, mais pas de manso ! La chose peut paraître surprenante, je vous l’accorde. Si les novillos de Zaballos ont facilement adopté une attitude défensive, lançant de sérieux uppercuts de la corne dans les étriers des piqueros, ils conservèrent aussi, tous, une fijeza sans faille. Aucun n’a fui l’affrontement et dans les leurres, que ce soit les capotes ou les muletas, tous mirent la tête basse sans décocher de coup de corne. La noblesse était bien là, mais l’intelligence aussi. Une caractéristique coutumière de l’encaste Saltillo et qui au vu des lidias réalisées ne favorisa pas le développement de leur disposition offensive. Comme me le fit très justement remarquer un ami, ils eurent droit à deux faenas : l’une de capote et l’autre de muleta.
Ainsi fut ce premier acte carcassonnais, le bon côté, le côté pile.