Comme l’année dernière, les toros d’Alcurrucén ouvrent Cenicientos 2008. Comme l’année dernière, les toros de José Escolar Gil clôtureront la féria. En attendant le reportage de CyR, chronique oubliée de la féria 2007.
Qu’est ce qu’on fait là ! Au milieu de nulle part, en pleine pampa, au bout du bout des virages de la Sierra de Gredos, entre Madrid, Ávila et Tolède, le triangle des Bermudes de la Tauromachie, la vallée du Río Tiétar. Le pays des chimères, du "torogarrou" terrorisant les novilleros et hantant les nuits des matadors les plus confirmés. Affabulations fantasmagoriques d’aficionados en mal de légende.
Le programme de la féria 2007, une fois encore, est alléchant.
Hier, c’était le jour des Alcurrucén, nous n’y étions pas. Ricardo, raconte-nous.
Trop de toro, pas de torero. Habituelle litanie. Présentation exceptionnelle, digne d’une grande arène. Eugenio de Mora, Javier Valverde et Serafín Marín optent pour une élégante stratégie : le pilonnage intensif. 25 missiles plus tard, l’objectif est atteint, l’adversaire réduit à néant. À vaincre sans péril… on évite bien des dangers. Contrat suivant !
Qu’est ce qu’on fait là, le 15 août !
On vient contempler les derniers vestiges des prestigieux Veragua, l’antique beauté des Prieto de la Cal aux robes surannées. 'Marismeño' et 'Vinatero', jaboneros astifinos échappés d’une toile de Goya, irréels comme des spectres, cisaillés et achevés sans égards. Les toreros, insensibles, ne goûtent guère cette esthétique.
C’est toujours le même refrain dans ce pueblo, trop de toro...
Les Prieto ont fléchi avant ou après la quinzaine de piques assassines, dispensées sans mise en suerte, méchantes à l’excès. Toreros et cuadrillas rudement éprouvés ne feront preuve d’aucune mansuétude.
El Renco abdique et abrège instantanément. Méprisant et provocateur, il veut dédier au public 'Pajarraco' dont la corne s’est brisée. Il invective les spectateurs, simule, termine par une indigne estocade. Infect ! Bronca et broncasse. Inexcusable, malgré les bourrasques.
"Qu’est-ce que l’honneur ?
Un mot.
Qu’y a-t-il dans ce mot honneur ?
Qu’est-ce que cet honneur ?
Du vent "
William Shakespeare
Álvaro Ortega : Intégralement dépassé.
Les gens d’ici vous l’assènent comme une fatalité, trop de toro, pas de torero.
Qu’est ce qu’on fait encore là !
Jeudi 16 août, on devait rester à Tolède. C’est toujours le même refrain. Marre des manœuvres de la cavalerie. Marre des fantassins bigarrés, contemplant le massacre, planqués derrière les barricades.
Sonnez clarines ! C’est un vent de révolte qui gronde.
Quatre Araúz de Robles et deux El Pizarral, rien de révolutionnaire !
Synthétisons : bonne présentation, trois toros invalides, 'Lobazo', superbe Araúz (cárdeno clarísimo, botinero, astifinísimo), éphémère comme les autres. Copieuse ration de piques à l’emporte-pièce. Les ordres sont clairs : il faut que ça saigne ! Le cavalier est le roi de l’arène. Échec et mat.
Luis Vilches use et abuse du pico. Décomposé.
Fernando Cruz : ah bon, il était là ! Déception.
Andrés Palacios porte un bien joli costume.
Les cuadrillas au diapason de la médiocrité : nullissimes.
Désespérant et soporifique ! Qu’est ce qu’on fait là, en plein mois d’août, dans le vent maintenant froid, à supporter stoïquement le pire.
Vendredi 17 août, on est toujours là, pour les Adolfo. On aime les Albaserrada comme des proches. On ne dit pas les Martín. On dit les Victorino, les Adolfo. « ¡Sí Señor! » Ce sont de vieux complices, presque des intimes. Demain ce sera le tour des Escolar. On ne dit pas les José, mais on le pense…
Pour les Adolfo, même le vent retient son souffle.
Au menu, comme à l’accoutumée, des bichos de cinq ans. D’évidence il ne s’agit pas d’un premier choix. À défaut de grande cuisine, nous nous contenterions d’un bon plat, moins subtil, plus roboratif. Mais le service laisse à désirer : présentation irrégulière, quelques demi-portions, un soupçon de cornes vilainement astigordas. Le festin manque de consistance et de saveur. Rien d’indigeste, on reste sur notre faim.
11 piques seulement. Le second toro de José Ignacio Ramos reçoit l’unique puya réglementaire de la féria. Le diestro de Burgos, particulièrement professionnel, laisse curieusement échapper 'Curioso', certainement le plus intéressant, un adversaire qui humilie, tout en restant avisé. Ramos approximatif à gauche, butte sur son point fort, l’épée. Dommage.
Fernando Robleño compose avec deux antagonistes à la faiblesse latente. Appliquées, ses naturelles manquent de profondeur, ses derechazos de liant. Rarement dans le sitio, sa muleta profite du passage. Il sauve les apparences et coupe la première oreille (généreuse) malgré une lame quelconque.
Iván Fandiño, égocentrique gominé, surpris en flagrant délit de narcissisme, dessinant de merveilleuses passes… de salon. En cas de danger, inutile de compter sur lui ! Convaincant dans l’estocade.
Les Adolfo dont nous attendions tant, ont déçu. Les toreros que nous n’attendions plus, sont de retour. Moins de toro, plus de torero ? Et demain ? T’emballes pas, ici quand il y a des toros… On peut rêver, ¡coño!
Samedi 18 août. Dernier jour. On est là, tenaces et obstinés, avec Télé Madrid. Gros plan sur les Escolar : des cornes et du trapío, costauds mais sans surcharge, prometteurs. On y croit, on est là pour y croire.
Du toril surgit alors 'Cuidadoso'. Un cite et il se plante comme un dard au burladero, poursuit tout ce qui bouge avant d’être durement harponné à trois reprises. Aux banderilles, El Fundi contraint à la vigilance, ajuste, sans possible relâchement. À la muleta, de brusques coups de cornes rendent la lidia périlleuse. Sec à droite, le combat devient aride à gauche. Secoué dès la première naturelle, le matador change de main et ne tarde pas à conclure. C’est tonique comme entame !
'Señorón II' ne se singularise pas, écorche les planches, se jette sur les leurres, le mufle au ras du sol, accuse le coup après un terrible puyazo, bascule cul par-dessus tête et revient au cheval. Panique à bord, l’équipage cherche son capitaine. Sergio Martínez débordé devient la risée de l’assistance. Le toro est applaudi à l’arrastre. Ça tangue !
'Meloso I' suit avec un identique enthousiasme, fendille sa corne gauche lors d’un remate, s’enveloppe vivement dans les véroniques pieds joints de Sergio Aguilar, encaisse deux épouvantables piques, longtemps repoussées sans céder malgré le manége de cariocas, raccompagne les banderilleros, désarme le peón de brega, bouscule El Fundi venu à la rescousse. Sergio Aguilar, jambe fléchie, gagne los medios en quatre passes, coupe net l’élan de l’animal d’un ferme trincherazo. Le toro hésite, se rebiffe. Le torero insiste, laisse du temps et donne de la distance, accepte un combat décousu, enchaîne les passes une à une, perd un pas, se replace et sans rompre, impose ses naturelles. Une série, deux séries, douces et soyeuses, main basse. Un somptueux derechazo agrémenté de quelques manoletinas. Un pinchazo, une belle épée et un descabello. 'Meloso I' meurt au centre, bouche fermée. Acclamations ! Sergio Aguilar, volontaire et émouvant. Oreille. Ça remue !
'Catalán I' percute violemment les burladeros, fouille sur les côtés, cherche derrière, galope sans cesse, accourt aux capes. Le picador lui réserve le sort coutumier, deux piques dures, sans retenue, fermant la sortie. Le toro charge vaillamment sans reculer. Constamment sollicité, El Fundi redouble d’efforts pour rassurer les cuadrillas en déroute. Il livre un excellent tercio de banderilles, poursuit par une série de trincheras jusqu’au centre et allonge sur la droite. Une, deux, trois séries… Superbe ! 'Catalán I', inlassable, bouche cousue, maintient le rythme cadencé d’un danseur de sardanes. Les naturelles sont moins fluides mais plus méritoires. Pour finir en maestro, quelques trincheritas ornementales finement ciselées, un pinchazo instantanément repris et estoconazo. Énorme ovation ! Deux oreilles pour l’un, vuelta posthume pour l’autre.
On est venu pour ça, comme chaque fois… Et puis ça arrive… Epoustouflant !
'Campanillero' reçoit un accueil contrasté, ardant dans l’assistance, sans écho au callejón. Cornes, allure et prestance. Beau de beau ! Sergio Martínez déserte, abandonnant ses troupes en plein naufrage. Trop de toro pour ce torero à la dérive, asphyxié. El Fundi, omniprésent, assume l’intégralité de la brega. Un zélé picador, arc-bouté sur sa perche, vacille au milieu de l’arène, indemne grâce au quite opportun de Sergio Aguilar. SOS et sauve-qui-peut aux banderilles. Faena ? Pâle comme une figure du Greco, Sergio Martínez, disparaît dans sa blanche serviette. Bronca. Magistrale vuelta pour 'Campanillero'. Du tonnerre !
'Campanito II', le dernier, un moral sans faille, le plus noble, le plus faible aussi. Sergio Aguilar insiste pour que les piques soient brèves. El Fundi ajoute un quite sobre, par véroniques. Simple et concis. L’animal se requinque aux banderilles. Aussitôt les peones se recroquevillent. Le jeune torero, au centre, engage sereinement la faena, tout en finesse. Des naturelles senties, comme des caresses. Un final enchanteur composé de suaves trincheritas et de délicats doblones. Frissons garantis. Un pinchazo, une entière et les gradins exultent. Deux oreilles, vuelta pour 'Campanito II'.
El Fundi, Sergio Aguilar, le mayoral et l’éleveur portés en triomphe.
C’est fini. On est là, benoîts, heureux comme des papes.
On est là avec les gens d’ici, los Coruchos, simples et accueillants, fiers de partager leur nouvelle plaza.
On est là, comme chaque fois, comme toujours, comme partout, à espérer l’improbable alchimie : un toro, un vrai, et un torero.
L’un face à l’autre…
Suerte para Cenicientos 2008
Dimanche 17 août (course télévisée sur TeleMadrid) /// Toros de José Escolar Gil /// Rafaelillo, Fernando Robleño et Sergio Aguilar.
17 août 2008
Cenicientos : mythe ou réalité ?
Libellés :
Cenicientos,
El Fundi,
José 'JotaC' Angulo,
José Escolar Gil,
Sergio Aguilar