Souhaitons la bienvenue à JotaC, nouveau collaborateur de Camposyruedos...
En quittant les arènes après la corrida de La Quinta, des sensations confuses se bousculent dans les têtes. Enfin des piques ! De la lidia !
Oublié l’exotique divertissement bigarré que nous monnayent les pourvoyeurs d’événementiel, les pontes de la communication ou les directeurs de conscience.
Toros et toreros viennent de livrer un combat sans artifices, libérant spontanément des émotions troubles, violentes, ambigües et profondes.
Elle avait raison, envers et contre tous, la minorité rugissante des rangs ensoleillés. La preuve est faite : il existe encore une tauromachie de belluaires. Ce soir-là, l’air était aficionado. Nous étions tous des anges. Parenthèse dans le temps, éphémère victoire des insoumis.
Musique Maestro ! En avant pour l’apothéose !
Bravo ! Bravo ! Bravissimo…
Derniers nuages de poussière, derniers claquements de fouets, dernières galopades vers le patio, dernière traînée de Victorino.
Bravo ! Bravo ! Bravissimo… La foule n’était qu’acclamation.
Bravo ! Bravo ! Vuelta ! Vuelta ! Musique !
Là-bas, sur le sable, les costumes paillettes s’agitent et tournent, tournent, tournent…
Musique !
Avant, Monsieur, dans cette arène, on ne décrochait pas souvent le pompon. Ils étaient rares les tours gratuits. Un public de pingres dépourvus de mouchoir, sans cœur, sans âme. Oui, Mesdames et Messieurs ! C’est écrit dans le journal.
Aujourd’hui, c’est le grand carrousel, un tourbillon de sucre candeur, l’extase !
Entrez, entrez, Mesdames et Messieurs, venez voir les corridas du bonheur. Venez assister aux somptueux tours de piste. Entrez, entrez, à tous les coups, on gagne. Triomphes garantis !
Dans le cercle magique, on s’affaire. Sa très gracieuse Majesté hissée sur son trône de guimauve, une ère nouvelle commence.
Bravo ! Bravo ! Bravissimo… Musique !
- S’il vous plaît, Monsieur, c’est qui le nouveau roi ?
Musique, musique ! Bravo ! Bravo ! Bravissimo…
- S’il vous plaît Monsieur, c’est qui ?
- Mais, tu sors d’où, toi ? Tu ne lis jamais le journal ? L’événement est immense, on sacre le Monarque, le grand trancheur d’oreilles.
- "Van Gogh ?!" j’ai dit.
Bravo ! Bravo ! Bravissimo… Musique !
- Mais qu’il est con, celui-là ! Tu ne serais pas un de ces « horripilants » qui ont sévi dernièrement dans les gradins ? Tu veux que j’appelle la sécurité pour t’apprendre à rire ?
C’est désormais la règle : joie et félicité. Finies irrévérence et raillerie.
Bravo ! Bravo ! Bravissimo… Musique !
- Excusez-moi, Monsieur. Je ne savais pas, je ne suis pas d’ici. Je viens d’une autre planète.
- Je vois, tu tombes de la lune.
Bravo ! Bravo ! Bravissimo… Musique, musique ! Vive le trancheur d’oreilles !
C’est en effet un grand trancheur, la presse unanime l’encense. 27. Un record, 27 oreilles en une seule féria. Le décolleur de portugaises, le Gengis Khan des feuilles de choux…
L’orchestre joue l’hymne officiel repris en chœur dans l’allégresse : « Toi, toi Montois, toi, toi mon tout, mon roi… »
Les fusées déchirent le ciel, ribambelles multicolores. Une forte odeur de poudre, de poudre aux yeux…
Le lunaire s’est approché :
- Monsieur le Roi, s’il vous plaît, dessine-moi un toro.
- Pardon ?
- Dessine-moi un toro, un toro de La Quinta, s’il vous plaît.
- Mais pour quoi faire ?
- Ben, pour qu’il prenne trois piques, tiens.
Silence.
Hommage aux indociles qui ne changent pas d’avis.
JotaC