30 août 2008

"Amigo, mon colt a deux mots à te dire" / Bilbao 2008


Ça ne sentait pas très bon cette fin d'Aste Nagusia sèche comme un cactus dans les rocheuses. On pouvait craindre pour ce final bilbaíno, quand bien même les gris Victorino avaient prévenu qu'ils débouleraient en ville pour ficeler la fête et semer la terreur. Mais c'était sans compter sur le géant petit homme de Fuenlabrada aux éperons dorés, Ferrera le lanceur de couteaux et Diego le Riojano, qui selon la rumeur, aurait épargné le cuir d'un de ces coyotes-là, l'an passé, dans un Etat voisin. Mais bon... y'avait un mais.
Je mettais un peu le plus célèbre des gangs cárdenos veletos en berne cette année, depuis que j'avais vu ce toro bouffer la muleta comme un pied tendre enfile les scotchs, dans le ruedo vicois, sans avoir auparavant accepté le moindre bourre-pif, celui qu'on réserve aux vrais terreurs de l'Ouest. Déception...
A l'heure où je digérais la somptueuse chuleta de buey de la Ercilla sur les tendidos de Vista Alegre, je constatais que les balcons étaient vides et les rues de Vista Alegre, calmes. Trop. L’afición bilbaína avait fermé les volets. Concluez-en ce que vous voudrez... On dit que « Juli le Kid » n'aurait pas fait mieux quelques jours auparavant, lors d'un duel toutefois prometteur... Peut-être que Bilbao n'est plus le Fort Alamo de l'afición de verdad dans laquelle on se réfugiait parfois pour se protéger d'une attaque apache, se rassurer d'une temporada médiocre ou se rappeler de quel bois était fait un tío. En attendant, ça sentait la poudre et le sapin, par ici...
Débarqué en ville, il y eut de tout dans ce lot, mais des tontons, des durs à cuire, des hils de pute, des salauds et des roublards, il y en eut six. Tous difficiles jusqu'aux sabots, âpres et malicieux jusqu'a la pointe du poil ; il aura fallu à nos trois compères quitter les charentaises chauffées par maman, et opter pour la tiague et le Stetson, mieux taillés pour ce genre d'explications. Douze rencontres seulement pour un lot globalement faiblot mais qui suait la caste ; on aurait aimé que la cavalerie intervienne plus judicieusement. Ainsi « Fundi » (Ahhhh ! « Fundi », ce cher « Fundi » !) déploya-t-il son attirail de Winchesters et Smith&Wesson, pour camper comme bon lui semblait dans le champ de vision du tout premier coyote, le pitón en bandoulière dès les premiers remates au planche. Celui-ci serrait rapidement sur l'homme, toujours prompt à vous raser de près, et plus si affinité. Il avait compris, le type, qu'il se tramait quelque chose de malveillant derrière le drap rouge. Mais quoi ? Il eût fallu pour lui ne pas tomber sur le gringo de Fuenlabrada au quart de siècle d'alternative poussiéreuse pour le deviner, peut-être. José allait le chercher au fin fond du saloon, lui faisait payer l'addition des consos après lui avoir présenté le pianiste et finissait la visite guidée par le bureau du sheriff en le bouclant loin là-bas dans sa cellule, autant de fois qu'il le fallait pour faire rendre ses colts ; pas décidé, on envoya l'impertinent à la potence, et une lame entière placée libéra les esprits et les âmes de la population. Vista Alegre City pouvait respirer enfin.
Son second était un chef de bande, un de ceux à qui il ne faut pas tourner le dos, sans quoi c'est l'assurance d'un aller simple au paradis, mais à sa décharge, il avait la charge franche et la loyauté d'un bandit d'honneur ; c'est juste qu'il fallait pas se manquer et à aucun moment lui laisser entrevoir une issue glorieuse. Encasté et débordant de force, la gueule en bas mais qui fait pas de cadeau. Un de ceux a qui on ne cède rien, quoi, sinon c'est la correction, le scalp à coup sûr. Par deux fois il bouscula les montures. On peut même dire qu'il y laissa la tête, mais à ce stade de la bagarre, la manière ne pouvait faire de lui un brave. « Fundi », sur la colline, observait le déroulement des opérations et laissa ses compañeros s'occuper de décocher quelques flèches sur l'adversaire. Pas commun ; la foule s'en inquiétait. Mais il devait déjà se douter qu'il lui faudrait toutes ses munitions pour venir à bout du « manteau de cuir gris ». Et ça n'a pas manqué. Talons dans le sable, l'oeil froid et déterminé, il écrasait son puro à ses pieds et allait à la rencontre de l'intrus en lui expliquant d'abord gentiment qu'ici, la loi, c'est lui qui la fait, et lui montrant le règlement. Le chef de bande rigola et expédia lourdement notre héros au sol. Pas grave. A bafouer la loi, on agace le Sheriff Fundi et c'était pas ce qu'il y avait de mieux à faire. Des coups de flingue en veux-tu en voilà, sur la droite puis la gauche, « Fundi » emmenait le duelliste cárdeno à se dévoiler et l'obligeait aux coudées franches. Planqué derrière un tonneau, un abreuvoir ou la fenêtre du bordel, il pouvait surgir à chaque instant. Jamais lui tourner le dos, c'était la règle. Sheriff Fundi tournait surtout sur lui-même et parait délicieusement chaque attaque, le poignet ferme et le compas grand ouvert. Si ça partait de travers, c'était fini, mais y'avait pas le choix, il fallait corriger l'indésirable fauteur de troubles et lui faire quitter la ville rapidement, pour que l'ordre et le calme reviennent. Ça dézinguait à tout va, chacun vidait son barillet sur l'autre, mais c'était sans compter sur l'expérience des duels sanglants et l'habileté à gérer ces rendez-vous délicats du « Fundi » qui expédia finalement l'inconscient d'un terrible coup de lame sioux qu'un vieux peau-rouge lui avait donné autrefois et qu'il cachait toujours au revers de son poncho. Le grand chef gris aurait dû le savoir et ne pas sous-estimer le Sheriff Fundi. Trop tard, José accrochait définitivement l'étoile à sa veste. La loi , c'était « Fundi » et il était temps pour tous de le savoir.
Ferrera, le lanceur de couteau, insaisissable et bondissant trublion, eut fort à faire lors de ses duels à lui. On a craint beaucoup pour lui, face à son premier. Une épouvantable terreur qui ne voulait rien entendre, jouant du rasoir en vous écrasant le pied au passage, le salaud parfait. A grands coups de torchons désespérés, on parvient à tout. Et là, on eut au moins à estimer sa bonne composition. En tous cas, c'est sûr, y'avait bagarre. Il s'arrima fortement quand surgit le second, un jumeau revanchard du précédent, et joua copieusement du harpon, con poder et détermination. Il n'en fallait pas moins pour en venir à bout. En faisant rouler les éperons dans le sable, il engageait la bête sur deux séries templées et ne lâchait plus le lasso, sans quoi, le revers eût été fatal. Ferrera le savait. Ce genre de lascar-là, on ne discute pas avec eux, on dégaine. Point barre. Quelques coups de lames plus tard, s'en était fini, mais il avait fallu suer. Sans doute les deux plus durs à cuire de chez dur à cuire. Restait alors au jeune Diego à prouver à ses compañeros que lui aussi allait faire entendre la loi aux deux gâchettes qu'il se réservait. Les rumeurs les plus encourageantes fusaient à son sujet, et l'on clamait les exploits du jeune gringo partout dans la ville. Il nous restait à voir ce qu'il avait vraiment dans le ventre, le gamin. Et si son premier, le plus valeureux de la bande, voulut en découdre rapidement, imaginant peut-être que le duel ne s'engagerait pas, c'était sans compter sur la vaillance du prétendant riojano, qui, souvent à cours de force et d'épaules, retenait audacieusement les charges, les coups de feu et de rasoirs en serrant les dents, mais sans jamais céder, et en détournant les coups, les pieds à plat et le poignet autoritaire. Fallait s'être levé tôt pour faire plier la jeune gâchette. Mais il lui fallait surtout tenir son rang, et une réputation à honorer. Des muletazos imparfaits mais toujours dominateurs, muy poderoso, même si son adversaire prit souvent le dessus. Une entière placée dans les épaules et la messe était dite. On commençait à croire que cela était bien arrivé. Diego Urdiales dit « le Riojano », avait peut-être bien dégommé tous ses adversaires comme la légende le raconte. Les forces laissées dans le premier duel le privèrent sans doute d'une authentique consécration dans tout l'Ouest sauvage, mais faut dire que son second n'était pas un caïd au grand coeur, juste un poseur de bombes sur voies ferrées, un second couteau et pas un maître à penser, un de ceux qui agissent par derrière quand ça commence à sentir le cramé. Abattu en plein cœur et de sang froid, sans la moindre pitié pour les salopards de sa trempe. Cette fois, c’était sûr, il ne se relèverait pas. On embarqua les six corps dans le petit cimetière hors de la ville, et l'on n'entendit plus jamais parler de la terrible bande des cárdenos veletos de Bilbao 2008. La ville était calme, et la population respirait enfin, débarrassée de ces solides gaillards qui en avaient fait plus que baver à nos trois héros, reprenant leur route respective, ou presque, puisque personne ne vit Sheriff Fundi quitter Vista Alegre City. Il était sans doute déjà loin quand ses compañeros d'un jour le cherchaient pour partager la récompense. Les héros n'aiment pas les honneurs, et « Fundi » avait sans doute déjà l'esprit en d'autres contrées, conscient que ces six-là n'étaient qu'un détail dans la longue liste des sentiers de la Gloire. Nul ne sait ce qu'il devint. Certains racontent qu'il a fini aux côtés de ses amis indiens, aurait combattu Custler en personne et aurait à l'occasion scalpé plus de cent visages pâles à lui seul. La légende était en marche, et elle ne s'arrêterait pas là.
El Batacazo