N'y allons pas par quatre chemins, la corrida d'Alcurrucén
combattue en huitième position du cycle de l'Aste Nagusia m'a fait mal au bide. Je
m'y pointais pourtant plein de confiance et même assez impatient d'assister à
ce que je pensais être « la » corrida bilbaïna telle qu'on la rêve : sérieuse,
puissante et austère comme une symphonie de Bach.
Au cœur du plus charbonneux ruedo du monde — que les tablas rouges subliment et que les gradas bleues soulignent —, qui ne saurait trouver son maître autrement qu'à travers la mythique présence du président Matías, trépassait enfin l'ultime ruminant… et pschiiiiiit ! Une mansada majuscule, sans trace de caste, et, pire encore, une présentation à pleurer qui pousse aux pires craintes. La symphonie grandiose de Bach tournait à la soupe mixée de cantine scolaire. Passée la crise de foie, finie l'incommodante digestion, aujourd'hui je débriefe et pose la question : « Qu'est-ce qui ne va plus à Bilbao ? »
Passe encore la soporifique raideur de Miguel Ángel Perera
et son bon goût d'occire sur-le-champ ses deux carnes offrant chacune une oreille pour tant de générosité chiante et rectiligne, avaleuse d'émotion.
C'est pas donné au premier venu d'être un faiseur d'ambiance, et, définitivement, Miguel Ángel Perera m'emmerde comme un jour de pluie wallon.
On pourrait même pardonner à Enrique Ponce — le Charles
Aznavour des ruedos que l'on va devoir conduire « de force ou de force » vers la
sortie — sa prestation « one more time » d'interne des Hôpitaux de Paris en blouse blanche et rapport médical sous le bras envoyant le client dans le service « phase terminale » sans plus de détails et, surtout, en utilisant tous les recours nécessaires pour garder les doigts propres.
Enfin, fermons les yeux sur Iván Fandiño, qui ne m'avait pas
habitué à tant de passages à côté du sujet, lui que je voyais inventeur de toros
qui ne le sont pas et qui s'est mis en grève cette fois-ci, ne comprenant
jamais, par exemple, que ce dernier toro voulait galoper comme un con, encore et
encore, alors que le « chic type de Biscaye » préférait
l'étouffer dans une muleta courte et sans envergure. On espérait qu'il nous
refasse le coup de l'Adolfo madrilène, mais on ne fit qu'espérer parce que derrière,
que dalle, woualou, zob, nada.
Reste que le cactus dans le pied de cette journée vint avant
tout des pupilles des Lozano brothers. Les tontons flingueurs des années
précédentes, ces hils de putes braves et encastés qui nous habituaient à
prendre la foudre sur les tendidos, avaient hier des airs de veaux marins. On
les aurait bien pris pour bien d'autres cieux plus accomodants, mais sûrement pas
pour les spectacles que l'on donne traditionnellement à Vista Alegre, Bilbao, Biscaya. Des novillos con cabeza, vous voyez ? Mansos, fuyant
les emmerdes et la baston, s'excusant presque d'être des combattants si peu
convaincants et tentant de se justifier pour qu'on les pardonne du peu qu'ils
avaient à offrir. Comme en plus ils avaient des têtes d'anchois, leur
désarroi était total. La gente popular, dont on dit de son afición qu'elle se
liquéfie comme un Miko au micro-ondes, trouvait finalement quelques ressources
au fond du tiroir pour quémander un peu de clémence auprès du bon Matías, qui
faisait la sourde oreille… Trop à mon goût, car il validait de sa signature un
petardo maison grandeur nature. On dit qu'il s'est assagi, donnant plus
souvent satisfaction à la foule que sa réputation le lui autorisait avant.
N'empêche qu'aujourd'hui, pour d'obscures raisons, Matías González approuve le
fait que l'on tue des toros imprésentables et anovillados lors de corridas
formelles en sa bonne cité de Bilbao, et si l'on considère que tout cela vient s'ajouter au
fait que oui, l'afición bilbaïna ne parvient plus à ramper jusque dans ses
arènes, où aucun lleno ne fut enregistré en 2012, alors, j'affirme que le
problème est bel et bien préoccupant. Le centre névralgique est atteint.
En août 2012, à Bilbao, saint des saints du toro-toro, l'afición
est mourante, les hommes s'émoussent et le spectacle que l'on y propose désormais tolère
l'intolérable en son propre sein comme une nouveauté, sans compter que le
cultissime sable charbon de Vista Alegre ne l'est plus tout à fait, tendant
plutôt sur un marron dégueu façon steak haché trop cuit qui rend sans doute les
choses plus familiales.
Bientôt on mettra un peu de blanc dans le rouge sans nom
des tablas de Vista Alegre. J'ai peur que Matías González et ses amis
barbus bibliques aux toisons poussiéreuses n'aient passé ensemble la première couche.