01 août 2012

« Alma herida »


Le premier que j’ai vu époustouflé par la performance, c’est Batacazo. Et question émotion graphique, Bata, on ne l’impressionne pas avec du vent. C’était juste après une corrida, à Madrid, en juin, juste après être passé une fois encore devant les immenses diptyques que Madame Douet exposait par là. Bata était époustouflé, et moi aussi.

Il faut dire que ce travail-là, on l’imaginait plus logiquement dans une galerie d’art, aux Rencontres d’Arles ou même dans un musée — c’est au moment précis où je me faisais cette réflexion que Jérôme a déboulé, et m’a confié son émotion.

Mais le fait est que ce travail ne se trouvait ni dans un musée ni dans une galerie d’art, mais à Madrid, à Las Ventas, aux arènes. Pas grave. Pour le coup, tout le monde en a profité, ceux qui ont l’habitude des musées et des expos, et puis les autres, surtout les autres peut-être.

Onze toreros, onze toreros photographiés nus, sans habit de lumière, sans aucun autre décor qu'une lumière naturelle. Onze toreros nus avec leurs cicatrices. Ce jour-là, je suis arrivé très en avance. J’ai profité de l’exposition, puis je me suis collé au mur, et j’ai regardé le défilé des passants — les spectateurs de Joséphine.

La première fois où j’ai eu un choc visuel vraiment différent avec des photographies de corrida, ce fut avec le travail de Michael Crouser, exposé en format géant à même le sol du métro de Madrid. La seconde fois, ce fut cette fois-ci, avec cette série de diptyques de Joséphine Douet. Avec cette nuance que Joséphine, dans son écriture photographique, est allée bien plus loin que ne le fit Crouser, qui est finalement resté dans un témoignage assez brut, relativement didactique, quoique remarquable et très personnel.

Joséphine est même allée bien au-delà de ce qu’elle nous avait montré dans Peajes, son road-book avec celui qui fut notre cher Manzanita. Avec « Alma herida », Joséphine a totalement dépouillé la présentation de la fête des toros de tout ce côté traditionnaliste si ostentatoire. Elle a épuré les choses à un point tel qu'elle s’est aventurée dans des territoires où, à ma connaissance, personne n’était jamais allé en ce qui concerne la Fiesta.

Ce sont des toreros. Ils auraient pu être boxeurs, sportifs de l’extrême, ou autre chose. Mais ce sont des toreros, nus, avec leurs cicatrices et leurs regards, captés comme rarement. Témoignage direct, sans fard.  J’avoue (aïe ! Joséphine) ne pas avoir lu les phrases imprimées, les citations, car, après un premier passage, et de mon point de vue, les photographies se suffisent à elles-mêmes. Les photographies et le titre de la série : « Alma herida ». Épure totale.

Le format imposant — 2 mètres sur 1,50 m — et le dépouillement de l’œuvre pourraient renvoyer à une photographie contemporaine très en vogue actuellement (enfin, pas chez tout le monde), mais non. Il y a là une émotion, une part d'humain, que l’on ne retrouve pas dans cette nouvelle photographie trop souvent gratuite. En fait, seul le format pourrait y faire référence. Pour le reste, le supplément d’âme est bien là pour nous relier à l’homme, ainsi qu'à la réalité d’une profession tellement hors du temps.

Joséphine, franchement, bravo !


>>> La série « Alma herida » est visible par ici, et puis aussi par là.