23 janvier 2010

Sofa's Knock Out (III)


— Bonjour madame, vous reste-t-il des autocolants 'Desgarbado'... comme celui qui est en devanture ?
— Bien-sûr, combien en voulez-vous ?
Combien on en veut ? Vas-y pour 6 000 eh fadasse ! On en veut un, pas un de plus, c’est déjà énoooorme un, ça pourrit déjà bien assez le champ visuel un, un c’est trop !
— Ça sera tout ?— Oui, merci et bonne soirée.
Ça y est, on l’a... l’autocollant 'Desgarbado' ! Dans le sac à main, bien planqué au fond entre deux pages du calendrier 2010. Faudrait pas non plus qu’on nous surprenne avec ça dans les rayons. Ici c’est Dax mais quand même... Cache-le bien !
Des légumes ! Claire Chazal, comme toujours caressée par le frémissement du néant émotionnel, vient d’annoncer qu’ils avaient sorti un petit Haïtien de l’enfer mais que les recherches s’arrêtaient là. Entre deux Curly parce qu’il n’y avait plus d’olives fourrées aux anchois (voir ici), j’ai pris conscience que j’allais devoir ingurgiter des légumes ce soir, un samedi soir ! Je le savais depuis tout à l’heure mais j’étais persuadé au fond de moi que tout cela serait oublié une fois rentrés.
— C’était le deal ! J’achetais ton autocollant et on mangeait des légumes... POUR UNE FOIS !
Foutre dieu ! Elle ne pouvait pas comprendre, non ? Comprendre qu’il m’était physiquement impossible de me présenter devant une vendeuse dacquoise, de lui demander s’il lui restait une croûte du style qu’elle exposait en devanture et de lui lâcher 3 euros comme ça ? Comprendre que j’aurais rougi, balbutié, bégayé voire pire, que je me serais peut-être évanoui là, devant tous ces gens, de Dax qui plus est, comme une outre percée et qu’en plus cela m’était impossible parce que j’avais mal à la tête ? De sang-froid et malgré la désespérante idée de bouffer ces courgettes de saison lascivement montées par de vigoureux haricots verts (extra-fins les haricots !), j’ai éteint Claire Chazal et ce souffle de rien qui la parcourt régulièrement entre 20h et 20h30.
— C’est pas des bio au moins ?
— Bouffe tes Curly !
L’idée m’avait pourtant paru bonne. Elle était même évidente. En passant devant ce marchand de journaux et de billets de loto, j’ai tout de suite repéré le truc, la chose, l’alien. L’autocollant de 'Desgarbado' ! Quelqu’un avait eu l’idée de commettre cela ! En se baladant dans les rayons d’un centre commercial, les occasions de se confronter au mauvais goût sont aussi nombreuses que les mauvais toros l’été. Mais ça !

Il me le fallait. Je voulais prouver aux copains que ça existait mais il était évident que je ne pouvais pas l’acheter moi-même et puis j’avais très mal à la tête.
— Ma chérie (oui je fais partie de ces hommes qui appellent leur femme "ma chérie" malgré les haricots verts), ça serait sympa si tu achetais cet autocollant pour moi.
— Pourquoi tu n’y vas pas tout seul ?
— Non, je peux pas ! Chérie, 'Desgarbado' ! Et puis j’ai mal à la tête... S’il te plaîîîît ?
— Bon ok mais ce soir on mange des légumes frais alors... Ça changera !
En regardant, à distance certaine néanmoins, l’autocollant hommage au miraculé des eaux de Dax, j’ai senti m’envahir une bouffée de violence. Il n’y avait plus de Curly, Claire Chazal avait fini de sauver le petit Haïtien et j’eus l’envie soudaine de moudre la gueule du Géant vert, de le déstructurer façon sarladaise pour lui donner des airs de topinambour. "Oh ! Oh ! Oh !..."
J’ai mangé jusqu’aux derniers. Aucun n’a survécu, aucun... Pas de gras, pas de grâce !
Manquerait plus maintenant qu’on bouffe des pommes au campo...