16 janvier 2010

Un soir avec Joselito


Rencontrer Joselito à Paris, la quarantaine triomphante, affûté comme sortant de chez le sastre, telle était la proposition du club taurin de Paris jeudi dernier. Joselito, le bras gauche inerte quand l'autre travaillait le derechazo, la mine renfrognée et une cargaison d'émotions déposée au quai des années 90. Ces deux dernières temporadas, ses toros l'ont replacé dans une actualité digne d'intérêt, loin des rumeurs et des légendes fastidieuses. Les toreros ont la tiède tendance à ouvrir grand les vannes d'eau tempérée quand il est question de parler et les ganaderos l'habile tentation de vous raconter ce que vous venez entendre. Il y a quand même quelques personnages auxquels on souhaite laisser le bénéfice du doute, et pour lesquels on s'acquitte du forfait "hôte de passage" dans une brasserie de République.

Au Club taurin de Paris, l'accueil par les savants et les penseurs de l'association reste un régal pour qui sait donner la distance. Le préambule s'articule autour de compliments, de propos teintés d'humour de salon, mondain sans trop l'admettre et d'une cordialité un soupçon sur-jouée. Le docte président commence par formuler des remerciements admiratifs et brosser le portrait de l'invité, dans le sens du poil. Francis Wolff enchaîne ensuite pour poser un brin laborieusement la "problématique" de la soirée et lance le plan. Le lleno d'une centaine de convives explose en applaudissements et se torture la nuque pour apercevoir le maestro là-bas, sans estrade.

Joselito n'est pas exactement un conférencier alors, il faut lui poser quelques questions pour remplir le plan. Il est question de carrière, de souvenirs marquants, de seuls contre six et même de "tu préférais le capote ou la muleta ?" (prix 2010 de la question Tournez manège).
A voir Joselito toréer, sérieux et torturé, on l'imaginait mal monter sur les tables dans une soirée, c'est pourtant ce à quoi réussit Francis Wolff. Joselito juché sur la table de conférence, muleta et épée en main décomposa tout sourire plusieurs volapiés, expliquant patiemment les temps théoriques et sa propre technique. Décomposée et sans protagoniste, la suerte manque un peu d'élégance, tout Joselito qu'on soit.

Une fois le délire de flashes retombé, l'estoc au fourreau et le maestro rassis (là-bas, sans estrade), il fut question de "toréer". Là où Esplá était intarissable sur les terrains et la technique, Joselito distingua calmement trois termes : éviter les toros, faire des passes et toréer. Pendant quelques minutes la conférence prit plus d'ampleur. Une fois réglé le compte de la façon d'éviter le toro en se déplaçant trop souvent, le maestro expliqua qu'en réfléchissant trop, on pègue des passes, on transmet un raisonnement au public qui, s'en emparant, s'imagine capable de réaliser lui-même tout cela. En revanche lorsque le torero torée, il interprète un sentiment par le biais du toreo, touche les gradins par ce sentiment et nul ne pense alors pouvoir en faire autant.
Vint tardivement le temps du ganadero. Rien ne concerna la race ou les différents fers. Joselito expliqua son évolution, qu'il n'était plus question pour lui de tienter pour mieux voir ses vaches. Le toro idéal affiche de la fiereza, de la caste, humilie et obéit. Puis l'assistance eut droit à ses questions grâce auxquelles on apprit que les fundas constituent une bénédiction sans grand inconvénient et que si le premier tiers est important en tienta, le ganadero ne regrette pas plus que ça les monopiques actuelles. Il faut dire que le toro est aujourd'hui plus brave qu'avant et s'abîme trop lors de la première rencontre. Admettons.

Au fond, là-bas, derrière l'absence d'estrade, une fresque représentait les monuments de Colmar et tout naturellement, il fut temps de souper. Mes compagnons de table m'expliquèrent tour à tour leur admiration pour Jesulín et le toreo de cape du Fandi, que le Fundi était bien gentil (mais que bon...) et puis entre le munster et la tarte aux pommes, mon voisin exposa que le Cid commençait à nous les briser avec ses naturelles (bout des lèvres), et puis bon, hein... il est gaucher, alors ça va (fastoche) ! Je quittai alors ma table, ce convive, ses 20 années de férias à Nîmes et le désespoir de son cas. Les derniers métros sont de merveilleux prétextes.

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