31 janvier 2010

Idiosyncrasie* du taurino


Du discours trompeur et décomplexé ou comment donner l'impression de se plaindre d'une situation que l'on souhaite voir perdurer.

* Tempérament personnel (in Le nouveau Petit Robert). Pour faire simple...

Que nos voisins se le tiennent pour dit, le grand timonier, le guide de la révolution taurine à venir a pour nom André Viard. Chantre du taurinisme, taurino parmi les taurinos, lui et lui seul sera capable de mener celle qu'il appelle la « quatrième fracture structurelle ». Arrivé à Madrid gonflé à bloc — accompagné de sa marionnette de l'UVTF, sans la barbe mais avec une de ces triques ! —, il prononça son discours au sénat espagnol avec l'œcuménisme de celui qui ne perd jamais de vue les intérêts qu'il est venu défendre !
J'ai sélectionné pour vous le cœur de ce discours fondateur (en couleur) : un argumentaire où sont cités « trois exemples concrets qui démontrent qu'une réglementation inadaptée peut accélérer le risque de décadence. » Tiens-tiens, décadence... Sauf que, comme l'a clairement exprimé Laurent dans son Taisez-vous !, nous nous fichons royalement de sa schizophrénique « quatrième fracture structurelle » basée sur une interprétation pour le moins trompeuse des faits et textes...

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NB Impossible de prendre en compte tous les textes réglementaires... Les liens et les remarques renvoient au principal règlement, le Real Decreto 145/96 du 2 février 1996.

Pour avoir imposé en son temps un poids minimum uniforme qui ne tenait pas compte de la grande diversité des encastes, le règlement de 1960 a provoqué la quasi disparition de plusieurs d'entre eux : Santa Coloma, Contreras, Patas Blancas, Coquillas, Gracilianos... Il est certain que les toreros accélérèrent leur disparition en refusant de continuer à affronter leurs toros, mais leur décision s'explique par le fait qu'en perdant leur phénotype ces encastes avaient aussi modifié leur comportement.
Commençons par préciser que le Reglamento de las corridas de toros, novillos y becerros de 1924 fixait le poids minimum des toros à 545 kilos (entre octobre et avril) et 570 kilos (le restant de l'année)... En 1930, le poids minimum des toros en plaza de 1ère catégorie chute à 470 kilos, avant de tomber à 460 kilos en 1962 (inchangé depuis). On peut légitimement imaginer que si ce poids minimum a tant baissé, c'est en partie pour permettre, en théorie, à tous les éleveurs de présenter leurs toros dans des arènes de première catégorie, car avec un poids minimum de 460 kilos aucun encaste n'est a priori oublié et le règlement ainsi formulé ne saurait être mis en cause. Quant à savoir si la modification du phénotype de certains encastes ait pu avoir une incidence directe sur leur comportement (encasté ?...), nous tenons là l'exemple parfait du raccourci aisé au service d'une cause : défendre le point de vue des taurinos... engagés dans l'uniformisation de la Fiesta, symbolisée par la mainmise de l'encaste Domecq.

Le second exemple de décadence consécutive à une réglementation mal adaptée concerne l'actuel premier tercio qui n'est plus, la plupart du temps, qu'une formalité médiocre et vite expédiée, quand il n'est pas carrément simulé, situation qui ne satisfait pas les aficionados et relègue le picador dans un rôle subalterne très éloigné de celui qu'il occupa jadis. Quand au toro, il est le plus souvent châtié de manière inopportune sans que sa bravoure, garante de l'authenticité de la Fiesta, ne soit mise en scène comme elle le devrait.
Inutile de revenir en détail sur sa marotte, à savoir la taille trop importante de la pique : la pyramide d'acier. Tous les maux de ce premiers tiers y sont, selon lui, concentrés. Son rêve tient en deux mots : pique andalouse. Que l'on élève des chèvres sans force ni puissance ni bravoure, que l'actuel règlement soit systématiquement foulé aux pieds (carioca, poids des chevaux — « aveugles » — et des petos, piques pompées, etc.) pour être achevé par, entre autres, des puyazos longs et traseros ; tout cela ne servirait à rien d'être dénoncé sous peine de desservir la cause : soutenir les taurinos engagés dans l'abandon du premier tiers et son corollaire : enlever la force au toro qui, sans elle, n'est plus « toro ».

Le troisième exemple de dérive réglementaire nous est donné par la surenchère que l'on observe lors de nombreux reconocimientos, laquelle a pour conséquence d'exiger des normes inédites dans toute l'histoire de la Fiesta. Jamais le niveau d'exigence en ce qui concerne la présentation du toro ne fut si élevé, au point que les ganaderos, pour y satisfaire, ont été obligés de développer des méthodes d'élevage incompatibles avec l'éthique des générations passées.
« Jamais le niveau d'exigence en ce qui concerne la présentation du toro ne fut si élevé » : imaginez un peu ce que serait la présentation des toros sans ce niveau d'exigence tant décrié dont on ne trouve curieusement aucune trace dans les textes officiels... Remplacer ces vétérinaires incompétents par d'autres à la solde des taurinos : en voilà une belle idée pour que leurs ganaderos chéris, engagés dans la moralisation de la Fiesta, en finissent enfin avec ces « méthodes d'élevage incompatibles avec l'éthique des générations passées. »

Pour présenter ce toro qui n'existe pas de manière naturelle, ils ont dû renoncer à l'élevage extensif dont celui-ci bénéficia toujours, pour le maintenir au contraire dans des espaces restreints où il est soumis à une alimentation "hors sol", seul moyen pour eux de le doter tout à la fois du poids et de l'énergie nécessaires aux exigences du spectacle moderne. Depuis toujours, le monde taurin a justifié la mort du toro dans l'arène par la vie idéale qui lui était offerte avant, laquelle n'est plus du tout la même.
Quand on prétend vouloir vendre entre 15 et 20 corridas par an, il est certain que le concept d'élevage extensif a de quoi battre de l'aile (de poulet de batterie). Au sujet du poids, le problème ne viendrait-il pas du fait que l'on combatte en corrida des animaux de tout juste quatre ans (utreros adelantados) ? En les lidiant à cinq, peut-être n'auraient-ils point besoin d'être soumis à ce régime si accéléré... et si rentable ! De l'énergie ? Sûr qu'il en faut pour résister aux faenas sans fins dont se délecte les taurinos... également engagés dans le productivisme de la corrida-spectacle que n'encouragent nullement, que je sache, le(s) règlement(s) en vigueur.

Si l'on ajoute à l'exiguïté des cercados actuels l'usage des fundas qui ont pour objet principal d'éviter que le toro ne soit refusé lors des reconocimientos en raison de l'usure naturelle à laquelle sont soumises ses cornes si elles ne sont pas protégées, il est facile de comprendre que peu à peu nous sommes en train de détruire ce qui fut toujours une des richesses de la Fiesta : l'image imposante du toro en liberté. Loin de demeurer le Roi de la Nature qu'il fut longtemps, nous le convertissons aujourd'hui en un produit de grande consommation et cette image particulièrement néfaste pour la Fiesta, c'est à la rigueur excessive d'une règlementation inadaptée que nous la devons.
Les actuels arguments des taurinos pour légitimer la pose des fundas (garantir l'intégrité des cornes pour assurer une meilleure présentation afin de franchir des reconocimientos soi-disant de plus en plus sévères, prévenir toute suspicion d'afeitado) ne sont qu'un tissu de contrevérités éhontées ne trouvant leur fondement dans aucun règlement... Dans la plupart des cas, les fundas permettent surtout à ceux qui vendaient déjà beaucoup de vendre encore plus et, éventuellement, de faire d'une pierre deux coups (dont l'un « imaginaire ») : « Pour toute demande de manipulation des cornes, et ce pour des raisons évidentes de commodité, prière de nous contacter au plus tard la veille de l'enlèvement des fundas. Merci de votre compréhension. » Serait-ce pour cela que les taurinos appellent leurs ganaderías chouchous des élevages de garantie ?

M. Viard, à l'eau trouble qui coule de votre fontaine et de celles de vos amis taurinos, nous préfèrerons toujours l'eau du robinet que jamais, ô grand jamais, vous nous confisquerez !

En complément Retrouvez sur La Brega les Vers un Munich taurin ? de Xavier Klein et Vers un Munich taurin (II) de Bernard Grandchamp.

Images Un toro Veragua de Javier Gallego © Camposyruedos Un cebada à la pique à Pamplona © Camposyruedos Veterinario, « Toros para hoy » © Juan 'Manon' Pelegrín A « Comeuñas » chez Cuadri © Camposyruedos