16 janvier 2010

"Dis bonjour à mon copain"


C’est arrivé à tout le monde au moins une fois dans sa vie. Croiser quelqu’un, quelque part, dans la rue peut-être, en achetant le pain, au feu rouge sous la pluie, chez des amis, peut-être nulle part avec de la chance et sentir au fond de soi cette incandescence du déjà vu, ce goût indéfinissable mais ô combien identifiable des choses ressenties dans le passé.
Au premier regard, Javier Sánchez-Arjona, celui des coquillas (et des domecqs aussi), est de ceux-là.
- "Il me dit quelque chose...", "Je l’ai déjà vu quelque part "...
Et il a beau jeu de s’escrimer à vous expliquer calmement pour quelle sombre et de toute façon inintelligible raison (il est 9 heures du matin dans un coin perdu du monde dit civilisé, le café est ici superfétatoire) il a été contraint de changer le fer de ses santacolomas, cela n’y change rien, vous ne savez toujours pas d’où vous le connaissez ou pourquoi son visage vous interpelle autant mais vous avez déjà conscience que ce sera là votre obsession de la matinée.
12h. Vous savez ! Il a fallu grosso modo vous avaler 70 magnifiques vaches vestiges, un ou deux sementales bien en type et quelques novillos sur lesquels sont fondés les espoirs d’un encaste... mais vous savez... Ça y est !
Au Prado ! Javier Sánchez-Arjona, vous l’avez vu à Madrid, au Prado, jeter un œil presque torve sur les Ménines ou se moquer de l’arrière-train surdimensionné du canasson d’Olivares (les spécialistes l’affirment, Velázquez était un piètre dessinateur de chevaux). Javier Sánchez-Arjona est au Prado, accroché à un mur, encadré et maté tous les jours que fait Dieu par des coulées de touristes qui aimeraient trop le prendre en photo, lui, les Ménines, le bourrin d’Olivares ou le fusillé de Goya à l’étage mais il est écrit à l’entrée que cela est interdit. En vérité, c’est le menton de Javier Sánchez-Arjona qui pose au Prado et selon les spécialistes, Velázquez s’y connaissait un montón en menton. Javier Sánchez-Arjona a le menton de Philippe IV de Habsbourg (1605-1665) peint par Velázquez.
A la vérité, les spécialistes, qui décidément ont beaucoup de choses à dire sur la peinture de Velázquez, s’entendent pour affirmer que le maître fut contraint, à dessein (c’est un minimum pour un peintre), d’enjoliver les traits peu amènes du Sire "fin de race" (son grand-père était marié en quatrième noce à sa nièce, son père a une cousine et lui-même épousa Marie-Anne d’Autriche, sa nièce - nous vous laissons imaginer l’état peu ragoutant du dernier des Habsbourg d’Espagne, Charles II), de jouer avec la réalité en réduisant la taille "bogdanovienne" de la royale protubérance.
Si Javier Sánchez-Arjona rappelle le menton d’un roi du XVII° siècle, d’autres en ce monde taurin trimballent aussi ces "gueules" qui disent quelque chose. Prenez par exemple Simon Casas... Quoique. Pour le coup l’exemple est mal choisi car Simon Casas ne ressemble qu’à lui-même, Simon Casas est Simon Casas, Simon Casas est un, único et inimitable à l’instar d’Alain Delon qui se regarde de toute façon toujours de trop haut pour avoir le loisir de constater l'évolution du gonflement de ses propres chevilles.
Don Leopoldo Sáinz de la Maza Ybarra, Excmo. Conde de la Maza ! Lui a du mal à distinguer ses chevilles mais tout naturellement parce qu'il est grand, très grand.
Au bas mot 200 centimètres sans talon, deux longues cannes arquées et comme poussées par une cambrure exagérée qui bombe un torse fier et dru de type bruni au soleil de juillet. Tout de suite ce Conde de la Maza, qui cache derrière lui une partie du ciel bleu de novembre, rappelle quelque chose. Rebelote. Il vous aura fallu une enfilade d’à peu près 50 toros et novillos d’origine Núñez très mâtinée de Villamarta pour que le déclic se fasse sous les feuilles apaisantes d’un eucalyptus du "Cortijo de Arenales".
Au cinéma ! C’est au cinéma que vous l’avez déjà croisé, des tas de fois même. Non pas que vous ayez vos habitudes à l’Excelsior de Morón de la Frontera ni au Rex d’Alcalá de Guadaira mais lui, le Leopoldo, vous l’avez vu dans de nombreux films et tout d’un coup, d’en prendre conscience, ça vous met les rotules en coton pendant que vous essayez de lui tirer le portrait avec le ciel bleu de novembre pour décor.
Où sont ses potes ? Où se cachent-ils ? Ces gars-là ne sont jamais seuls, c’est une règle de base dans ce milieu. Ils sont toujours accompagnés d’une portée de types malveillants aux mines aussi réjouies que la naine dans les Ménines. Leopoldo n’arrête pas de causer et n’écoute que très peu. C’est un classique du genre. Lui parle, lui seul, c’est comme ça au cinéma. Il rajuste sa ceinture en lissant bien le bas de sa chemise rose, il avance le bassin et effleure du bout des doigts la chaîne en or ondulée par les poils du torse laissés au grand jour. Lunettes noires de rigueur, voix assurée, où sont ses potes ? Où sont les cousins ? Où est le clan ? Où est Manny ?

Dans quelques minutes, il va vous dire "Dis bonjour à mon copain !"* et là faudra décamper parce que ces mecs-là ne rigolent pas quand ils disent cela. C’est des cyniques, des cruels de premier choix, des labellisés à l’hémoglobine.
- "Non je t'en supplie Tony me tue pas !
- Ma, je vais pas te tuer.
- Ah merci Tony, merci !
- Dis pas merci, relève-toi. Manolo, tue-moi cette merde gluante !"*
Don Leopoldo, ça en jette pour un malfrat mafieux. En le disant lentement, en allongeant les syllabes, malgré le soleil et les degrés celsius, on l’imagine sans peine dans un grand manteau col fourrure en train d’enfiler ses gants après avoir réglé son compte directement à un raté qui lui avait fait du tort. Le Leopoldo, vous l’avez vu au cinéma c’est sûr.
Il nous a avoué au final être colonel dans l’armée espagnole...

* Dans Scarface de Brian de Palma.

>>> Retrouvez une galerie de la camada 2010 du Conde de la Maza sur le site http://www.camposyruedos.com/, rubrique CAMPOS.

Dessin Leopoldo de la Maza © Jérôme 'El Batacazo' Pradet/Camposyruedos
Photographie Novillos du Conde de la Maza © Laurent Larrieu/Camposyruedos