22 octobre 2008

Alfonso y el estribo


Dans une toute récente et intéressante contribution sur le premier tiers, À propos de piques et de butoirs / Deuxième partie, Marc Roumengou s’élève contre un certain nombre de points essentiels à ses yeux (et aux nôtres) dont, entre autres, la pratique éminemment néfaste du picador consistant à « imprimer un mouvement de "marteau-piqueur" à la garrocha (les Espagnols appellent cela mete y saca) » qui « n’est interdite par aucun des 2 règlements précités » (Reglamento de Espectáculos Taurinos & Règlement Taurin Municipal). N’ayez crainte M. Roumengou que si nous ne l’avions peut-être pas encore évoquée ici, nous ne manquons toutefois jamais l’occasion de rappeler avec force aux castoreños que nous ne goûtons pas, mais alors pas du tout, leurs méthodes de bouchers indélicats !

Toujours au sujet du premier tiers, toujours au sujet d’un fait grave mais parfaitement occulté celui-là, Alfonso Navalón (Huelva 1933 - Salamanca 2005) tenta d’interpeller en son temps le monde taurin sur « le crime de l’étrier de pique ». « Navalón no era un santo... » et n’était pas non plus réputé pour ses bonnes manières, son sens de la diplomatie ou de la modération. Aussi, concernant l’article décapant qui suit, non daté mais vraisemblablement écrit fin XX°-début XXI°, il évoque un étrier, le droit, pesant « más de treinta kilos » ! Il n’y allait certes pas par quatre chemins et ne faisait pas dans la dentelle mais quand même ! Ce chiffre ultra voire ridiculement élevé pour être vrai1 fut aisément contredit par un test ultrascientifique réalisé à Morille chez Matías Carretero par un quart de Campos y Ruedos. De leurs petits bras ultramusclés, deux d'entre nous soupesèrent la bête en fer puis, ultrasérieux, nous demandâmes tous l’avis du ganadero qui, dans un froncement de sourcil plein de surprise, nous annonça quelque chose comme : « un poco más de tres kilos ». Et tous les quatre, ultrasoulagés, d’approuver sur le champ cette réponse ultraprécise et proche de nos estimations, quoiqu’ultra-éloignée du chiffre avancé par l’"ultra" de la critique taurine.

Plus sérieusement, lorsque l’on a cet indestructible engin entre les mains, on frémit à l’idée d’imaginer ce que peuvent "ressentir" les toros qui viennent s’y fracasser le crâne ! Les picadors ayant, dans un moment d'égarement, l’heureuse attitude de citer le toro de face, puis très fréquemment la fâcheuse manie de positionner leur monture perpendiculairement à sa course en ne portant le fer avec "tout" leur poids qu’une fois le contact toro-peto sur le point d'être réalisé, il n’est pas aberrant de croire que certains d’entre eux, sur ordre ou non de leur matador, s’arrangent pour présenter sciemment l’étrier au toro2 avec la nette et condamnable volonté de réduire rapidement et significativement sa puissance3...

Cela étant dit, vous trouverez ci-après une tentative de traduction, ce qui, soit dit en passant, doit bien faire marrer les collègues. Bref, les hispanophones ont à leur disposition le texte original d'Alfonso Navalón en cliquant sur ce dernier lien puis sur « Las mejores críticas » et enfin sur « El crimen del estribo de picar. El 60 por ciento de los toros sufre fracturas de cráneo ». Bonne lecture à toutes & à tous.


« Le crime de l’étrier de pique. 60 % des toros souffrent de fractures du crâne

Comme nous évoluons dans un monde d’ignorants ; comme la majorité des responsables chargés de veiller à la décence de la Fiesta et, surtout, à l’intégrité du toro ne remplissent pas leur devoir, la plus grande aberration du combat du toro continue d’être impunie ; celle qui, chaque tarde, fait que de nombreux toros arrivent au troisième tiers avec de graves lésions qui rendent pratiquement impossible tout "jeu normal" à la muleta. Il se trouve qu’il y a plus de trente ans je dénoncai dans les plus grands journaux nationaux qu’un crime était en train de se jouer à la pique. Qu’il y avait beaucoup plus grave que les piques dans la pointe de l’épaule, la carioca et le fait de fermer la sortie au toro afin de laisser l’animal à moitié invalide avec pour unique finalité la recherche du triomphe commode du torero en échange de toute la vigueur du toro. Que personne ne voulait se rendre compte du funeste rôle de l’étrier de pique4 : une quille d’acier contre laquelle le toro s’écrase. Et comme il nous est possible de l’observer, le picador retire son pied protégé par l’armure de fer pour laisser seul ce bloc de plus de trente kilos contre lequel le toro donne des coups de cornes, se causant de graves lésions, parfois mortelles — il ne reste plus qu’à puntiller le toro au sortir du tercio de piques. Et ce que les personnes attribuent à de l’invalidité n’est rien de plus qu’une mort anticipée survenue contre la masse de l’étrier.
Au campo, il ne se trouve plus un seul ganadero tientant les mâles ou les vaches avec ce modèle, criminel, utilisé dans les arènes. Dans tous les élevages5, un morceau de pneu est posé afin de réduire les effets du choc. Il y a trente ans de cela, je proposai que cette pratique soit adoptée dans l’arène. Mais comme ceux chargés d’élaborer le règlement et de le faire respecter ne savent pas ce qu’est un toro, personne n’a souhaité prendre de mesures contre cette cruauté dont est victime le toro chaque tarde durant. Cela sans compter toutes les nombreuses fois où les toros s’abîment les yeux et arrivent à la muleta en manifestant des symptômes qu’ils n’avaient pas au moment du reconocimiento.
Lors de ma réapparition après sept années d’absence à la feria de San Isidro, une nuit je rencontrai dans une tertulia le fameux taxidermiste Justo, qui dissèque la plupart des têtes de toros importants — commande du torero pour commémorer un triomphe à Madrid ou du ganadero qui veut perpétuer dans son salon le comportement d’un exemplaire exceptionnel. Justo reçoit dans son atelier les têtes de ces toros remarquables et, pour réaliser son travail, commence par les décharner et leur enlever la peau pour ensuite modeler le plâtre en l’ajustant à l’anatomie du toro et le reproduire le plus fidèlement possible. Après avoir enlevé la peau du front, la première chose que Justo découvre ce sont les marques fatidiques de l’étrier de pique. Il me confia ceci à la fin d’une tertulia à Puerta Grande, que dirige mon fraternel compagnon José Antonio Donaire, un de ces rares chroniqueurs qui n’a pas honte de confesser en public qu’il apprit beaucoup lorsque nous travaillions ensemble à Informaciones.
Ce que je vais vous dire, Justo l’a dit il y a quelques jours de cela en public : 60 % des toros qui arrivent dans son atelier souffrent de fractures du crâne ou de graves fissures au front, conséquences du choc contre le néfaste étrier de pique. Il paraît incroyable qu’il y ait eu tant de réformes du Règlement (par les politiques incompétents successivement en poste) et que personne n’ait remarqué que l’étrier de pique, avec ses trente kilos en forme de quille, se révèle être beaucoup plus dangereux que tous les maux que l’on impute communément au malheureux tercio de piques (pique actuelle criminelle ou poids démesuré du caparaçon et des chevaux percherons). Si 60 % des toros exceptionnels qui arrivent à l’atelier du taxidermiste, après avoir survécus aux ravages causés par les picadors, ont le front partagé en deux, il ne reste plus qu’à se demander quel est le pourcentage de toros qui arrivent à la muleta sans les conditions physiques minimales pour pouvoir charger.

Les éleveurs
Je crois que lors de la dernière assemblée de l’"Unión nacional de Afeitadores de Toros de Lidia" une requête fut portée à la connaissance de l’Autorité Incompétente afin que le tercio de piques soit réformé. Au bout de tant d’années passées à baisser leurs pantalons face aux exigences honteuses des figuras (si no afeitas, no lidias), ils se sont rendus compte, outre cette pique criminelle (qu’ils réclament à présent pivotante afin d’éviter les boucheries auxquelles nous assistons chaque tarde) et hormis leur demande de limiter les poids du caparaçon et des chevaux, qu’ils se devaient d’exiger que l’étrier de pique soit recouvert de caoutchouc. ¡ Ya era hora que se bajaran del burro ! Il est invraisemblable que quelque chose de si grave soit passé inaperçu aux yeux des aficionados exigents qui implorent le respect de l’intégrité du toro, centrant leurs protestations sur l’afeitado et la manière de piquer, mais qui n’ont pas remarqué les ravages de l’étrier en fer. Cela dit, les aficionados ont une excuse, parce qu’ils apprécient la lidia depuis leur tendido. Ce qui est impardonnable, c’est que les éleveurs eux-mêmes et les vétérinaires chargés de l’examen post-mortem dans les abattoirs ne dénoncent les graves lésions du front et de la vue.
Les critiques
Ce qui serait logique, c’est que les chroniqueurs taurins aient déjà dénoncé cette calamité de la lidia. Mais n’allons pas leur demander la lune. La plupart de ces chroniqueurs écrivent sur les toreros et en savent très peu sur les toros. Ils vont plus fréquemment déguster des plateaux de fruits de mer avec les apoderados qui les soudoient que goûter la vérité des pâturages où l’on peut apprendre le secret de la vie du toro. Quand un chroniqueur se rend au campo, c’est seulement comme spectateur adulateur d’un tentadero pour féliciter l’éleveur de "l’excellent jeu des vaches approuvées" en contrepartie d’un repas et de flatteries. Ou en accompagnant la figura du moment. Les chroniqueurs de toreros n’ont toujours pas remarqués que, dans les tentaderos, l’étrier de pique était recouvert de caoutchouc. À présent, il faut que ce soit un taxidermiste qui leur explique, via son expérience professionnelle, les conséquences du choc contre cette masse de fer.
Les télévisions
Mais je me doute bien que de nombreuses années passeront avant que ne disparaisse des ruedos ce monument mortifère. Car, à l’heure qu’il est, le public et les critiques sont davantage disposés à proclamer que l’émotion "de cirque" née des manoletinas ainsi que la façon dont José Tomás se fait accrocher la muleta à presque chacune de ses passes représentent l’essence même du toreo. Ici tous avalent et se taisent. Si ces imbéciles de lèche-culs qui dirigent les retransmissions télévisées parlaient, ne serait-ce qu’une fois, des ravages de l’étrier et prenaient des gros plans de la collision du toro contre ce dernier, nous ne continuerions pas à subir cet abus. Mais les gros plans et les ralentis servent exclusivement à remontrer les cogidas des toreros, afin d’impressionner le public, ou les muletazos donnés avec le pico et le pied en retrait comme s’il s’agissait de la vérité suprême du toreo. Ils trompent le public et humilient le toro.
Les politiques
Comme toujours, les politiques ne s’informent de rien et, tarde après tarde, vivent en parasite dans le burladero privilégié des callejones pour laisser impunis ces mauvais traitements : parce que les politiques sont toujours plus ignorants que les critiques adulateurs. À propos des politiques, que fait, toutes les tardes dans toutes les ferias, Enrique Múgica fumant son cigare ? Je ne crois pas que la responsabilité d’un Défenseur du Peuple soit d’être présent avec tant d’assiduité dans tous les callejones. À l’image d’Ignacio Aguirre Borrel qui, lorsque commençait la temporada, abandonnait son bureau pour aller de feria en feria à la solde du contribuable. Je vous soumets là l’exemple de deux hommes politiques représentatifs de la "fausse gauche" et de la "droite suceuse" qui passent pour être de bons aficionados et sous les nez desquels se consument, tarde après tarde, les grandes fraudes du toreo sans qu’il n’aient jamais rien entrepris pour les éviter. À cette paire de malotrus, qu’est ce que ça peut lui faire l’étrier en fer ? » Alfonso Navalón

1 À noter, sans rire, qu’il pourrait s’agir d’une éventuelle erreur du copiste...
2 Pour signifier une marque de mansedumbre et/ou de genio du toro, il n’est pas rare de lire l’expression : « hacer sonar el estribo », en français « faire sonner l’étrier » ou le « faire chanter » (sic). Le genre de musique dont on se passerait bien...
3 Lire à ce propos la réflexion menée par Marc Roumengou dans l’article en lien (le premier).
4 « Los estribos serán de los llamados de barco, sin aristas que puedan dañar a las reses, pudiendo el izquierdo ser de los denominados vaqueros. » : seule description de l’étrier contenue dans les règlements espagnols (Real Decreto & Nuevo Reglamento Taurino de Andalucía). Le Règlement Taurin Municipal (art. 61) ne disant pas autre chose. Appréciez le « sin aristas que puedan dañar a las reses » ; ça ne coûte rien de l’écrire...
5 ?!?

Images À l’instar des bateaux, d’où le « de barco » des règlements espagnols, l’étrier est très souvent pourvu d’une "quille" (photo du haut © Manon) plus ou moins imposante, ou peut avoir un fond plat, mais c’est plus rare. Les deux "flottant" pareillement et produisant sans nul doute les mêmes effets L’exemple par l’image avec un escolar à Vic. « Traseraaa ! » Muy tr... © Camposyruedos