25 octobre 2008

Trois morceaux de jazz à New York City


«
Messieurs, vous n’avez que trois morceaux... ensuite, terminé !»
C’est chaque fois pareil, dès que nous avons en ligne de mire une pointure, un gros poisson, le temps imparti aux photographes est limité, très limité.
Personne à ce jour n’a été capable de m’expliquer réellement pourquoi, si ce n’est que c’est clairement et méticuleusement imposé par les managers, imprimé noir sur blanc dans les contrats.
C’est curieux je dois dire. Je comprendrais plus aisément que l’on nous interdise carrément, mais pourquoi trois morceaux, ou deux, ou cinq minutes ? Mystère.
J’imagine le service d’ordre des grandes arènes françaises nous faire le coup : « Messieurs ! Aujourd’hui toréé… José Tomás ! Alors vous n’avez que trois toros… ensuite, terminé ! »
Malaise et frustration. A la réflexion je me dis qu’il est même étonnant que le monde taurin n’ait pas encore songé faire quelques misères aux photographes. Il est fort probable que la faible manne financière qu’est susceptible de générer cette activité en soit l’explication la plus plausible.
Dans le cadre des concerts de jazz, les choses sont ainsi réglées, il n’y a pas a discuter : "Messieurs, vous n’avez que trois morceaux..."
Alors c’est le stress, et la frustration à venir. Il y a le problème du choix de l’angle, un choix primordial qu’il sera difficile d’améliorer, et qui peut s’avérer fatal comme ça a été le cas pour moi, vendredi soir, pour le concert d’un monstre de batteur : Roy Haynes. Alors on a fait ce qu’on a pu.
Roy Haynes un p’tit gars de quatre-vingt-deux balais qui a débuté sa carrière dans les années 40, qui a joué avec Luis Russell, Luis Armstrong, Billie Holiday, Miles Davis, Charlie Parker, John Coltrane, et cetera, et cetera. Roy Haynes, quatre-vingt-deux balais et un charisme qui n’a d’égal que son énergie, qui semble inépuisable. Deux heures de concert. Le type t’annonce que tu n’as que trois morceaux, et dès que ça commence tu comprends que tu as choisi la pire place pour shooter, et que tu ne pourras plus bouger… On a fait ce qu’on a pu. Roy Haynes qui entre deux morceaux discute avec le public, s'amuse avec lui, et s’en prend au type qui a imprimé le programme et lui reproche les fautes d’orthographe concernant les noms de ses jeunes musiciens : « Ces gars-là arrivent de New York city ! Alors ça aurait été bien que leurs noms aient été correctement écrits !... bon… alors... What you want to listen to now ?… Any other question ? »
Je me demande s’il est possible de photographier dans les clubs de jazz de New York City, juste trois morceaux.