Tandis que les bottes franquistes claquent sur le sol espagnol, l’écrivain et peintre américain Robert Motherwell (1915-1991) en perçoit l’écho grave et funeste depuis son repère parisien (1938-1940). De retour au pays, il s’installe à New York où il complète sa solide formation universitaire (auteur d'une thèse sur le Journal de Delacroix, diplômé en philosophie...) en suivant des cours d’histoire de l’art à l’Université de Columbia. Il ne tarde pas à fréquenter les surréalistes1 européens en exil (André Breton, Max Ernst, André Masson...) dont il avait fait la connaissance, quelques années plus tôt (1935), sur le vieux continent. En 1941, au cours d’un voyage de six mois au Mexique en compagnie du Chilien Roberto Matta, son destin de peintre prend forme pour de bon puis grandit2. En toute liberté.
Dès lors, la culture hispanique ne cessera d’alimenter en continu ses gravures et ses peintures — rubrique expressionnisme abstrait. Dans son très bel ouvrage sur l’art du XXème siècle, Bernard Blistène précise que, « cherchant à signifier "le malaise dans la civilisation", Motherwell réalise, dès 1943, une suite d’œuvres sur le thème de Pancho Villa qui préfigure la série des Élégies, commencée en 1949.
« Les Élégies espagnoles ne sont pas "politiques", mais elles traduisent l’importance personnelle que j’attache à cette mort qu’il ne faut pas oublier. »
La configuration des Élégies, en forme de Stonehenge, oppose à la dimension aérienne du dripping le poids délibéré du sujet auquel elles renvoient. La couleur par aplats veut évoquer le paysage et la culture méditerranéens, dans lesquels Motherwell cherche une inspiration plastique et symbolique. »3
Robert Motherwell consacrera tout de même « près de 200 peintures [à] ce thème de l’Élégie qui était devenu pour lui une sorte de sublimation abstraite de la souffrance humaine, son Guernica en somme. Cependant, les thèmes espagnols dans l'œuvre de Motherwell ne se réduisent pas aux Élegies. Nombre de peintures et œuvres sur papier mettent en évidence sa connaissance de l'histoire de la peinture classique espagnole (de Velázquez à Goya). Si le noir et le blanc jouent un rôle clé dans les Spanish Death ou le White Sanctuary4, les couleurs (bleu, rouge, vert, rose...) interviennent brillamment dans des œuvres comme Madrid ou Spanish Envelope. »5
1 Pour la spécialiste Dore Ashton, les peintres de l’« École de New York » (Baziotes, De Kooning, Motherwell, Pollock, Rothko...) étaient, à bien des égards, des « enfants du mouvement surréaliste ».
2 Fundació Antoni Tàpies à Barcelone.
3 Bernard Blistène, Une histoire de l’art du XXe siècle, Beaux Arts magazine-Centre Pompidou, Paris, 2004.
4 Ainsi que dans At Five in the Afternoon (1949), tableau vraisemblablement autant inspiré par la mort du matador Ignacio Sánchez Mejías que par la fin tragique de Federico García Lorca, fusillé le 19 août 1936 par les franquistes. (Note Campos y Ruedos.)
5 Galerie Lelong à Paris.
À lire aussi, une biographie (en anglais, dur !) sur le site du MoMA de New York. À voir sur artnet.com, une foisonnante galerie de 180 gravures, lithographies... qui cherchent acquéreurs !!!
Image Elegy to the Spanish Republic, 1958 / Huile sur toile, 175,3 x 248,9 cm © Canberra, National Gallery of Australia. Il s'agit d'une des très rares Élegies à ne pas être numérotée, probablement réalisée au retour d’un séjour à Saint-Jean-de-Luz (été 1958) ; ville au départ de laquelle il se rendit en Espagne pour la première fois et où il peignit la série Iberia.