16 novembre 2005

Les "Crestadous" du Béarn


Le titre peut sembler bizarre, incompréhensible même.
Un ami aficionado m'a prêté ce livre (voir image en haut à droite) en me disant que j'y découvrirai quelques phrases intéressantes concernant les toros.
J'ai donc lu ce bouquin d'histoire locale. Passionnant !
Il était une fois des hommes de la vallée d'Ossau (Béarn, aujourd'hui département des Pyrénées-Atlantiques) qui partirent en terres ibères pour châtrer les animaux dans les fermes et les grands domaines agricoles. Leur réputation avait dépassé ce mur frontière qu'était la chaîne des Pyrénées (même si elle ne fut jamais réellement une frontière pour les habitants des vallées pyrénéennes de France et d'Espagne) et les Béarnais avaient un quasi monopole dans cette activité si particulière.
Les départs vers le pays voisin (et vers le Portugal) étaient nombreux au milieu du XIX° siècle car la vallée d'Ossau, et en particulier le canton d'Arudy, était "surpeuplée" par rapport aux possibilités d'emploi. C'est donc l'histoire de cette émigration qui est contée dans ce livre et qui reste même vivante dans certaines chansons aujourd'hui folkloriques du Béarn.
Les châtreurs et hongreurs du Béarn se répartissaient des territoires sur lesquels de véritables dynasties opéraient, car la transmission des savoirs dans ce domaine était presque toujours jalousement conservée en famille... Business oblige !

Et les toros me direz-vous ?
La carte permet de comprendre que ce sont les grandes régions d'élevages, dont celles du toro bravo, qui occupaient nos émigrés.
L'auteur rapporte les souvenirs d'un châtreur de Lanne, en vallée de Barétous, sur la castration de taureaux dans le campo charro.
"Enfin, la castration du taureau était certainement la plus périlleuse, non pas tant l'opération elle-même, parfaitement identique à celle utilisée pour les chevaux mais à cause de la difficulté rencontrée pour immobiliser ces bêtes sauvages. Pierre Honthaas se rappelle avec émotion ces moments où, tout jeune, il allait dans les cortijos des plateaux de Salamanque châtrer les taureaux sauvages considérés par le mayoral comme inaptes à la corrida et destinés dès lors à la boucherie. Le taureau était introduit dans une cour fermée. On avait pris soin de planter un gros piquet dans le sol qu'on avait recouvert d'un tissu rouge. Pendant que l'animal s'acharnait dessus, des peones lui passaient un lasso aux cornes et l'amarraient fermement au piquet. Au moyen de cordes, on attachait, en la relevant, une patte arrière au cou du taureau qui ne pouvait plus alors bouger sur ses trois pattes. L'opération pouvait commencer. D'après le châtreur de Lanne-Montory, ces ganaderias étaient très importantes. Il y avait beaucoup de bêtes, de champs de céréales à perte de vue et nombre d'ouvriers pour les élever ou les cultiver".
Une autre dynastie vendait ses services dans les régions andalouses de Séville, Cordoue et Huelva, haut lieu d'élevages de taureaux de combat. La famille Bidou, d'Ogeu, châtrait des taureaux chez Miura ou Pablo Romero!

"Quant à Joseph Bidou d’Ogeu, né en 1911, il partit à l’âge de 9 ans rejoindre son père Etienne, châtreur à Séville. Son grand-père Joseph, mort en 1925, y était hongreur depuis le dernier quart du XIX° siècle. Joseph, son petit-fils vécut 18 ans dans la ville de la Giralda. Quel plaisir de l’écouter parler de la guerre civile dont il fut un des témoins privilégiés ! Mais il m’a surtout raconté comment Joseph et Etienne partaient châtrer les taureaux dans les célèbrissimes élevages de Miura et de Pablo Romero. Les hongreurs de Séville parcouraient à cheval les immenses pâturages des provinces de Séville, Cordoue et Huelva. Ils avertissaient par courrier de leur venue les grands propriétaires des cortijos, les fermes andalouses. Parfois, ils prenaient aussi le train ou l’autobus pour aller dans ces fermes qu’ils s’étaient attitrées depuis des décennies. C’est ainsi que Joseph, qui passa son bac à Séville, put converser avec des toréadors aussi prestigieux que Belmonte ou Joselito".
Histoire "improbable" que celle de ces humbles Béarnais au savoir-faire renommé par-delà les fontières et qui tapent la causette avec les géants Belmonte et Gallito.
L'émigration est un pan essentiel de l'histoire béarnaise (comme basque d'ailleurs) et cette courte plongée dans la rude vie des châtreurs de l'Ossau rappelle aussi ce que le monde des toros doit aux Béarnais ; n'oublions pas que la famille Domecq (on en pense aujourd'hui ce que l'on veut) est originaire des alentours de Sauveterre-de-Béarn...