11 novembre 2005

"... y lo mató Pedro Romero a la primera estocada"


En parcourant le web, il arrive que les bonnes surprises se trouvent au détour d’un click.
Il existe des centaines de sites consacrés au monde des toros, de plus ou moins bonne facture. C’est comme pour tout me direz-vous.
Le site Internet de l’association culturelle « La Cabaña brava », que l’on pourrait considérer comme une vitrine médiatique d’aficionados de Saragosse (plutôt ancrés tendance torista), est une mine pour les passionnés de toros. L’association édite ou fait paraître un « fanzine taurino » publié également sur la toile, « El Aficionado ». Opinions, « coups de gueule », analyses, interviews animent cet opus touffu et très vivant. La dernière page est toujours consacrée à la mémoire de la critique taurine avec la publication de chroniques de Gregorio Corrochano, en particulier, mais pas seulement.
A cet égard, le n° 19 de mars 2004 a suscité mon intérêt car il présente ce que les auteurs du fanzine titrent comme « La primera crónica ». « Le 20 juin 1793, dans le Diario de Madrid, apparaît ce qu’il faut considérer comme « la primera crónica taurina de la historia », avec laquelle commence la publication des reseñas des corridas dans la presse écrite ». […]
Cette chronique est signée d’un certain « Curioso » qui restera évidemment anonyme face à l’impitoyable œuvre du temps et de l’Histoire.
Le compte rendu du spectacle est intéressant à plus d’un titre mais il faut bien avouer qu’il n’est pas caractérisé par la légèreté du style ni par le souci de synthèse. Vous en jugerez par vous-même.
Il est difficile de vérifier l’affirmation des auteurs de « El Aficionado », je n’ai pas la preuve que cette chronique soit réellement "La" première de l’histoire. Toujours est-il qu’elle doit appartenir aux origines de la critique taurine.
Elle est parue dans le « Diario de Madrid », journal quotidien né en 1788 dans la continuité du « Diario noticioso, curioso, erudito, comercial y político » (apparu en 1758 et fondé par un certain Francisco Mariano Nifo, un des premiers journalistes professionnels espagnols) à une époque d’ouverture libérale et de développement de la presse espagnole.
Au niveau taurin, la chronique de ce « Curioso » reflète bien l’image que l’on se fait de la tauromachie balbutiante (dans sa version codifiée) de la fin du XVIII° siècle et du début du XIX° siècle.
Une tauromachie rude, violente certainement, et réduite à deux tercios essentiels, les piques et la mise à mort.
L’auteur entame sa relation en mentionnant que « picaron 6 Toros de la mañana Juan López y Alfonso García Colmillo… ». Le varilarguero est à l’époque le maître de la piste et c’est lui qui a les honneurs du compte rendu. L’espada ne vient que dans une position secondaire, après piques et banderilles, « y lo mató Pedro Romero a la primera estocada… ».
Pour les aficionados, Pedro Romero est ce matador, petit-fils de Francisco Romero, de Ronda, connu pour la qualité de ses mises à mort et par le fait qu’on lui attribue la mort de (environ) 5600 toros tout au long de sa carrière. Sa competencia avec Pepe Hillo est restée célèbre, tout comme certaines de ses déclarations : « el toreo no se hace con las piernas, sino con las manos ».
En 1793, la muleta (que commence à introduire Pedro Romero) n’est là que pour placer le toro pour la mise à mort… Le spectacle du combat de chaque animal devient de ce fait plus court et permet de tuer un grand nombre d’astados. J’ai compté six toros dans la matinée et dix autres durant la « tarde » et Pedro Romero officiait toute la journée !
Il n’est pas intéressant de relever le nombre de chevaux tués ( ombreux) ou blessés mais il est par contre significatif de relever que le maestro de Ronda tua tous ses opposants « a la primera estocada » ; ça peut faire rêver aujourd’hui.
En ce qui concerne proprement les toros, peu de choses significatives ou instructives. L’auteur ne décrit pas le type des bêtes, se contentant seulement de mentionner la provenance géographique comme « de Gijón » ou « de Colmenar Viejo ».
Naissance de la tauromachie moderne et naissance de la critique taurine s’affichent dans ce document étroitement liées. C’est peut-être la preuve que dès sa genèse, la corrida a suscité l’attention et la passion.
Merci donc aux aficionados de la « Cabaña brava » de Saragosse de faire ressurgir ce genre d’écrits, témoignage irréductible d’un autre temps de la tauromachie.