14 novembre 2005

"¡Para las calles!"


Pour ceux qui ont la chance de visiter parfois des ganaderías, il arrive que d’étranges surprises jalonnent la visite.
Le mayoral ou l’éleveur sont souvent fiers de vous montrer la camada de l’année, ils vous présentent les diverses corridas, cercado par cercado, le plus souvent.
Et vous, vous avez vu un cercado, là-bas, plus loin, auquel le mayoral ou l’éleveur ne prêtent pas attention.
Alors, un peu gêné, vous demandez : « - Et ceux-là, ils vont où ?
- ¡Para las calles! » qu’ils vous répondent, sans plus de détails.
Para las calles ! Quel gâchis malgré tout.
Sans vouloir faire de sectarisme primaire, il s’agit bien là d’un gâchis, quand on se place évidemment du point de vue de l’aficionado, car les choses ne sont pas aussi simples.
Gâchis car l’on peut considérer qu’il est dommage qu’un toro sélectionné sur la base de critères précis et exigeants finisse sa vie de brave dans les rues d’un pueblo à trousser quelques mozos jouant avec leur peur.
Le toro de lidia est élevé avec un objectif unique : le combat dans le ruedo. Le toro est une œuvre humaine de sélection, de croisements et de patience pour atteindre une seule finalité, le combat (codifié) contre un homme techniquement prêt.
Faire courir des toros dans la rue va à l’encontre de cette recherche.
Cependant, il existe des exigences qui font capoter la théorie. Elles sont principalement d’ordre économique. De nombreux élevages ont besoin de ce débouché « de las calles » pour arrondir les fins de mois difficiles. Ce n’est pas un secret, l’élevage de bêtes braves coûte cher, la rentabilité est souvent aléatoire et les peñas ou municipalités payent bien en règle générale.
En outre, pour avoir discuter avec des habitants de la Vall d’Uxó*, il semble que ce genre de spectacle permette à une population souvent modeste d’avoir accès au monde des toros. Les prix des places de corridas, les déplacements que cela implique représentent un coût financier trop important pour des jeunes au chômage ou tout du moins mal rémunérés.
Enfin, ces courses dans les rues rappellent aussi les temps de la proto-tauromachie, les temps d’avant la codification de la corrida, les temps où le toro animait les places de villages. Elles incarnent donc la persistance d’anciennes traditions même si l’animal vénéré a profondément changé aujourd’hui.
La grande majorité de ce que l’on nomme les « bous al carrer » (en valencien) a lieu dans la communauté valencienne, face à la mer pourrait-on dire. Chaque quartier organise sa course et choisit un toro dans une ganadería, prestigieuse ou non. Il semble qu’il existe un règlement, propre à la communauté valencienne, qui régisse ces « spectacles »**.
Le toro est couru, écarté, esquivé par des jeunes gens ; le jeu est bien-sûr dangereux, parfois mortel. Au terme de la course, et pour pouvoir supporter le coût de l’achat du toro, l’animal est tué par un boucher et chaque membre de la peña achète sa part de bifteck, d’après ce que l’on m’a expliqué.
Dans l’incommensurable quantité de « toros en las calles », certaines courses sont de véritables institutions ancestrales.
Il en va ainsi du « Toro de la Vega » de Tordesillas. Tordesillas est une petite ville située à 29 kilomètres au sud-ouest de Valladolid. On est là bien loin de la mer mais ici aussi le culte du toro est vivace. Cependant, le déroulement de la course est différent, unique.
Le toro choisi doit déjà présenter certaines caractéristiques particulières : poids (plus de 500 kilos), grande armure, présence. Il est ensuite lâché et tout simplement tué à coups de grandes lances que les participants lui plantent dans le corps. C’est violent, troublant voire choquant, même pour des aficionados habitués à des mises à mort catastrophiques ou à des piques ravageuses et assassines.


Le « Toro de la Vega » est une « course » qui date de 1453, « Los primeros datos tratan de 1453, en el que se relatan que ante el Palacio de Tordesillas, se efectuaban juegos de "cañas" y la consiguiente y posterior suelta de toros. Los juegos de cañas venían a consistir en una carrera entre varias cuadrillas de jinetes que se asaetean unas a otras con lanzas de cañas. El procedimiento para que cesase la lucha entre los caballeros era la "suelta" de un toro bravo en el palenque que obligaba a dejar las cañas y empalmar este juego con el torneo del Toro. Para dar mayor emoción y vistosidad se abrían las puertas del palenque, con lo que el toro o los toros podían cruzar el río y ganar la vega donde proseguía la justa entre toro y caballeros, con la recreación de un espectáculo autónomo: El famoso Toro de la Vega ». Extrait du livre El Toro de la Vega - Lo más genuino de un pueblo de Jesús López Garañeda.
Le toro qui est en photo plus haut fut le toro de la Vega en 2004. Son éleveur, Arturo Cobaleda « Barcial » me disait qu’il ne goûtait pas du tout cette tradition, qu’il n’y voyait aucun intérêt mais que les gens de Tordesillas payaient très bien l’animal. Il rajoutait qu’aucune empresa n’avait voulu acheter cette bête à cause de son immense armure ! Sans vouloir porter de jugement sur cette tauromachie particulière, justifiée par son caractère traditionnel, il est dommage qu’aucune arène, qu’aucun grain de sable espagnol ou français n’ait été foulé par ce toro de Barcial élevé pour la corrida.

* La Vall d’Uxó est une petite bourgade qui se trouve à une soixantaine de kilomètres au nord de Valence. C’est une des villes les plus connues pour les « bous al carrer ».
** http://www.bousalcarrer.com/.