02 mai 2010

De toute façon José Tomás est déjà une légende (II)


Le texte qui suit a été publié par Rubén Amón dans El Mundo, la semaine dernière. Il raconte la première cornada gravissime reçue par José Tomás, déjà au Mexique. On se croirait dans un roman de García Márquez, sauf que nous sommes dans la vraie vie, celle de José Tomás.
Rubén Amón nous a très gentiment autorisés à traduire son texte, alors je me suis lancé.
Comme me l’a glissé JotaC : "La légende est plus qu’en marche..."

José Tomás : deuxième avis

Ce n’est pas la première fois que José Tomás se vide de son sang. Ni la première fois qu’il tutoie la mort dans un bloc opératoire mexicain. C’est un fait, José Tomás est vivant grâce à l’intervention d’un médecin qui s’appellait Francisco del Toro — naturellement —, et à l’hémoglobine qu’ont pu donner au maestro quelques novilleros mexicains.
Il est difficile de trouver un exemple plus éloquent de dévotion et de respect. Les torerillos offrirent leur sang, littéralement, pour ressusciter le colosse mourant.
On aurait probablement trouvé d’autres volontaires, mais ces quelques gamins débutants se sont offerts en priorité et avec ferveur. Plus ou moins comme s’il s’agissait d'une communion, d'une transe eucharistique.
Le coup de corne a été reçu dans l’arène reculée de Autlán de la Grana (Jalisco) le 18 février 1996.
José Tomás n’était pas encore consacré en Espagne mais il était déjà une idole dans les arènes aztèques.
Il prit l’alternative dans les arènes de Mexico des mains de Jorge Gutiérrez le 10 décembre 1995 et apprit là-bas les secrets du temple. Il avait amené de chez lui son courage de spartiate, bien qu’un toro du fer de Begoña fût sur le point de briser prématurément sa carrière de jeune torero.
Le toro lui infligea le coup de corne tandis qu’il toréait à la cape et le sang commença à couler à flots. Sur le chemin de l’infirmerie, son apoderado d’alors, Santiago López, essaya de boucher la plaie avec ses mains, et fut surpris — scandalisé — de constater que le médecin des arènes, en état d’ébriété avancée selon les témoins, ait pu lui soutenir que le fort et brutal coup de corne « n’était rien ».

Le bloc opératoire manquait des moyens et des solutions élémentaires. A peine un brancard, quelques gazes et un éclairage mortuaire.
Pendant ce temps, Santiago López se disait que la vie de José Tomás s’échappait de la blessure.
Heureusement que se présenta à l’infirmerie un « véritable » médecin. Providentiel. Sans que quiconque ne l’ait appelé.
Il n’avait pas l’autorisation de s’occuper du patient, mais il décida qu’il était urgent de le transférer dans une clinique de confiance. Il s’appelait, nous l’avons déjà dit, Monsieur Del Toro, et il affréta une ambulance afin que le torero agonisant puisse être soigné dans les meilleures conditions.

Ils opérèrent José Tomás pendant qu’une femme donnait la vie à son fils dans le lit voisin. Ils étaient seulement séparés par un paravent, un rideau. Dans la salle d’attente, les novilleros mexicains patientaient et Santiago López s’impatientait. Il ne put cacher au père du matador ni la gravité de la situation ni l’importance de la blessure.

Le docteur Del Toro apparut alors. Serein quoique modérément optimiste.
— « Je crois lui avoir sauvé la vie, c’est la première fois que j’opère un torero mais j’ai l’habitude de m’occuper des gens blessés à l’arme blanche. Il y a eut un moment très critique. »

Difficile à tel point que, dans Un torero de légende, Carlos Abella raconte comment José Tomás, victime d’un arrêt cardiaque, eut la sensation de s’en aller, de flotter, ses sens endormis dans une nébuleuse, sur le lit de l’hôpital mexicain.
Le matador fut transféré dans un petit avion à Guadalajara. L’appareil était plus remuant qu’un Victorino et les passagers, parmi lesquels José Tomás, transpirèrent comme si venait Jugement dernier, bien que, finalement, ils parvinrent à atterrir, après quoi une ambulance se présenta en bout de piste pour les récupérer.
Ce ne sera pas le dernier vol de l’appareil. Croyez-le ou non, le lendemain Tomás Campuzano toréait à Autlán et fit le geste d’offrir un toro au gouverneur parce qu'il avait facilité tous les moyens pour son compagnon blessé.
Le problème fut que le toro blessa le diestro sévillan et qu’il fut nécessaire de le transférer à Guadalajara, dans le même petit avion !
Campuzano et José Tomás partagèrent l’hôpital et l’assistance sanitaire. Pris en charge par Francisco del Toro qui n’avait jamais opéré un torero de toute sa vie. Et voilà qu’en 48 heures il prit en charge deux d'entre eux. Ce ne serait pas son nom ?
Rubén Amón